Attention, chef-d’oeuvre. La mise en garde clignote tout au long de ce second film de Mark Romanek, dont la carrière au cinéma est encore loin d’égaler sa réputation de clipeur (Photo obsession, thriller avec un Robin Williams peroxydé ne reçut d’ovations qu’au festival de Deauville), et qui visiblement, n’en revient pas d’avoir été choisi pour adapter le champion des librairies chicos, Kazuo Ishiguro (Les Vestiges du jour). On sent surtout un gros trac, derrière l’orgueil de Romanek, une vigilance un peu surfaite. Il faut dire que le scénario auquel il a affaire ne lésine pas question pompiérisme en sourdine, pas peu fier de son concept. Celui-ci consiste à suivre la destinée de trois humanoïdes conçus par le gouvernement comme doublures biologiques d’honnêtes citoyens, en cas de greffe ou de transfusion. D’où quelques atermoiements existentiels bien légitimes que Romanek n’hésite pas à monter en stéréo : crise identitaire, vices et vertus liés à la soumission et à l’obéissance (déjà au centre des Vestiges du jour), histoire d’amour impossible, etc.

Seulement voilà, si le film est très fort pour lancer des pistes, il peine nettement plus dès qu’il s’agit de les développer. Le titre renvoie d’ailleurs exactement à cette crispation de tous les instants : jamais la mise en scène ne se lâche, se cantonnant à fignoler une mise en place que le spectateur finit par détricoter tranquillement dans son coin. Au final, la peur de mal faire accouche d’images à la fois très lisses et très fardées, confinant chaque petit détail, chaque trait d’inspiration au rang de gadget enclumesque. Plutôt embêtant puisque Never let me go s’inscrit assez clairement dans le registre du mélo, genre qui plus qu’un autre, supporte mal le vide et la surcharge. L’exemple le plus criant : plutôt que d’inventer le futur, Romanek réécrit le passé, plongeant des années 50 à nos jours. Mais au lieu d’épurer le champ visuel, l’uchronie l’encombre à coups de voitures vintages, de costumes à l’ancienne et de natures mortes (les trois héros contemplent un bateau échoué sur le sable au soleil couchant : diapo idéale pour fond d’écran). Hormis une gravité un peu frimeuse, rien ne se déploie dans ce beau-là (de toute façon, les personnages vivent en marge de la société), au point qu’on pourrait très bien imaginer un remake situé en 3050 avec des soucoupes volantes, qui produirait exactement les mêmes effets. Ne pas s’y tromper donc : objet chic et grave, assez bêtement creux, Never let me go n’est rien d’autre qu’un bidule industriel qui n’a de relief que son entêtement à préférer les détails à l’essentiel.