Adapté d’une nouvelle de Denis Diderot, Mystification ou l’histoire des portraits est le premier film de Sandrine Rinaldi. Mise en scène des mots et de leur pouvoir de tromperie, ainsi pourrait-on définir Mystification qui navigue quelque part entre Rohmer et Oliveira, en particulier pour ce penchant naturel à édifier un récit moraliste à travers un dispositif essentiellement verbal. D’ailleurs en matière de mots, Sandrine Rinaldi s’y connaît elle qui fut critique aux Cahiers puis à La Lettre du Cinéma. C’est que le verbe, ici comme là, y est un puissant outil de travestissement, un pouvoir dont on use avec maîtrise mais qui n’est en réalité que le masque de préoccupations plus enfouies, de vérités contradictoires avec ce verni langagier. Pas un hasard d’ailleurs si les premières scènes prennent corps chez un orthophoniste, ce médecin du langage, celui là même qui semble maîtriser les mots, donc son destin dans la haute société : il se marie bientôt et souhaite faire disparaître les traces d’un amour passé trop encombrant pour l’homme respectable qu’il est devenu. Il charge alors un ami de récupérer une photo « compromettante » chez la malheureuse délaissée.

A partir de là, va s’élaborer une stratégie basée sur la séduction des mots pour inciter la fille à se débarrasser de cette preuve embarrassante. La maîtrise des mots -et son corollaire : l’apparente maîtrise du monde- se joue d’abord dans cette délirante accélération des phrases que les acteurs débitent à la manière des personnages de La Dame du vendredi de Hawks. Sandrine Rinaldi n’en fait pas pour autant une simple référence cinéphile (ce serait un peu court), elle réutilise au contraire à son compte ces dialogues mitraillette comme un outil de distinction, donnant du même coup à ceux qui en usent une certaine fatuité. Un rapport hautain au monde, même, qui vient directement s’opposer au bégaiement d’un patient (l’inénarrable Michel Delahaye), au phrasé poétique et dénué de marquage social, et plus tard à un chien -animal sans mot- qui refuse d’obtempérer sans aucun déguisement, ou encore à la vérité des sentiments d’une fille sentimentalement outragée. Un deuxième bloc et ce n’est plus l’accélération mais la séduction du bonimenteur, un troisième et c’est une partie d’échec orale qui s’engage et dont la conclusion, ou plutôt les effets divergent quelque peu de ceux auxquels on s’attendait.

Trois blocs, trois régimes de paroles en somme, trois réflexions sur la maîtrise du langage. Curieuse construction qui donne au film une certaine hétérogénéité, lui confère un soubassement théorique (le langage, ses manières, ses effets) qui l’empêche peut-être parfois de s’ouvrir à la plénitude, à la légèreté dans la maîtrise, comme c’est le cas chez les deux cinéastes tutélaires. Péché de jeunesse qui n’enlève rien à ce savant assemblage qui s’achemine jusqu’à sa conclusion existentielle douce-amère. Film souverain, assuré, dont la maîtrise se fait toujours au risque d’un certain étouffement (ce mouvement étant très précisément celui qui menace ses personnages masculins), Mystification n’en augure pas moins d’un talent de cinéaste dont on espère très vite recueillir les fruits.