Le prévisible destin doré de Doug Liman à Hollywood passe par Mr and Mrs Smith, premier blockbuster dans une oeuvre jusqu’ici en ligne droite. Plus proche de La Totale et de son remake par James Cameron que du film homonyme d’Hitchcock, Mr and Mrs Smith remplit son contrat et permet de constater que, même écrasé par un script archipataud et un casting plus que limité (Angelina Jolie à son meilleur, Brad Pitt à son pire), la virtuosité et l’élégance de Liman font tout passer comme une lettre à la poste. Script d’apprenti petit malin, donc : deux maxi agents secrets, un gars une fille, se marient sans rien savoir l’un de l’autre. Tout dérape quand ils découvrent la supercherie à l’occasion d’une mission dont l’un des deux est la cible -et réciproquement on s’en doute.

La métaphore guerrière qui nourrit cette fausse comédie romantique est d’une lourdeur inouïe, renforcée par l’aspect hyperscolaire d’une intrigue construite avec un soin de symétrie très neuneu (une scène avec l’un, une scène avec l’autre pendant plus d’une heure). Grosse mécanique sans le moindre raffinement, empâtée par la catastrophe Brad Pitt, aujourd’hui à un niveau de nullité et de vulgarité qui ferait passer Ben Affleck pour Cary Grant. Par chance, le programme est récupéré in extremis par Liman, qui lors d’une scène ou deux se permet même le luxe de prendre quelque distance (celle notamment où Pitt arrive en buggy dans le désert avec lunettes orange et casque sur la tête qui le font passer pour un pur dégénéré de survival). Ne reste plus alors qu’à se délecter du pur filmmaking : fluidité hallucinante, précision de chaque plan, plaisir de l’avancée toute en beats et pulsations qui est la propriété presque exclusive, aujourd’hui, de l’auteur du génialissime Go.

L’histoire a beau s’écraser dans la seconde heure, navrante querelle domestique transformée en guerre mondiale, l’essentiel est sauf : Liman n’est quasiment jamais pris en défaut et parvient, sur chaque détail, à s’en tirer avec la classe. Cela ne suffit pas à faire un bon film mais au moins à garantir un avenir en lettres d’or au cinéaste pour peu qu’il trouve assez vite un scénario à sa hauteur. Ni La Mémoire dans la peau, trop timoré, ni ce Mr and Mrs Smith, trop grotesque, ne l’ont permis. Mais dans sa chasse gardée d’une action hi-tech et incroyablement précise, Liman est sans égal : chacun de ses plans est une flèche lancée à la rétine, entièrement régi par une dialectique viseur / cible. Cinéaste sans films, Liman demeure pourtant à ce jour le plus bel archer du cinéma contemporain.