Alors que ses deux précédents opus (Rien ne va plus et Au cœur du mensonge) nous avaient un peu laissés sur notre faim, Claude Chabrol fait un retour inspiré. Derrière le titre ironique de son dernier film se cache une fiction musicale tout en vice et somnolence. Comme souvent chez l’auteur des Cousins, l’intrigue se déroule en territoire bourgeois -suisse en l’occurrence. Ce nouveau décorum policé abrite deux familles. D’un côté, André Polonski (Jacques Dutronc), célèbre pianiste, et Mika Muller (Isabelle Huppert), PDG d’une grande marque de chocolats. Tout juste remariés, ils vivent avec Guillaume (Rodolphe Pauly), fils d’André et de sa précédente épouse, morte accidentellement des années auparavant. A quelques kilomètres de distance, la jeune Jeanne Pollet (Anna Mouglalis), qui prépare un important concours de piano, apprend par hasard qu’elle a failli être échangée le jour de sa naissance avec Guillaume Polonski suite à la bévue d’une infirmière. Frappée par cette nouvelle et par l’étrange coïncidence d’une passion commune à celle du père Polonski, Jeanne décide de s’immiscer chez ce dernier.

L’art chabrolien se distingue par une élégance permanente, enrobant l’acte criminel d’un climat certes tendu, mais presque toujours limpide, où la suspicion reste discrète, comme postée derrière les oripeaux d’une indéfectible harmonie. C’est ce qui rend ses meilleurs films -dont celui-ci- parfaitement jubilatoires. Car le spectateur averti sait, lui, que quelque chose (l’indéfini a toute son importance) se trame en arrière-plan, hors champ, ou, comme ici, dans les profondeurs de la pensée et de l’âme. D’un récit à l’autre, seuls changent les instruments et les desseins d’un machiavélisme identique, particulièrement efficace dans Merci pour le chocolat parce que réduit à son essence même, sans réelles motivations, proche de l’inné. L’interprétation placide d’Huppert et de Dutronc concourt à la fascination trouble exercée par une intrigue mêlant cacao, Liszt et Rohypnol avec un brio souverain. Formellement, le film reste classique, mais d’un classicisme sans cesse au bord de l’implosion, menacé par certains choix « perturbateurs » garants d’un précieux décalage, de la norme établie vers les écarts nécessaires à l’étrangeté de l’œuvre. Le ton presque « trop suisse » des deux jeunes acteurs principaux ou les irruptions malicieuses d’éléments « profanes » (une game-boy, des publicités) attestent un désir d’émancipation par rapport au cinéma des maîtres du passé (Lang et Renoir sont explicitement cités). Entre purisme et modernité, Chabrol n’a donc toujours pas choisi son camp. Il s’en porte plutôt bien.