Très belle surprise que ce film bref mais ample, adaptation d’une nouvelle de Prosper Mérimée que l’écrivain Éric Vuillard fait progresser sur les chemins rocailleux d’un Philippe Grandrieux (dont il fut le scénariste pour La Vie Nouvelle). Grandrieux, parce que Mateo Falcone emprunte sans complexe au réalisateur son art du storytelling cauchemar : pas d’image, mais un ébrouement de bribes et de sensations ; pas d’histoire, mais un saupoudrage de micro-événements, pour un récit moins raconté que paniqué.

D’une assurance plastique jamais chichiteuse, le film se réduit presque à un pur support, une plaque sensible, s’offre son et image à une nature indomptable, souveraine et déchaînée. Le monde s’y résume à des hautes herbes moutonnant comme une mer d’or, un tapis végétal fouetté par les bourrasques et inquiété par quelques nuages, lesquels projettent au sol leur ombre de colosse à la façon d’une menace. Mateo Falcone est remarquable pour ce travail de synesthésie des éléments et de la matière, soucieux d’extraire tout le potentiel cinégénique d’un unique paysage — celui des Causses du Massif Central, arides et ambrés.

Un motif topographique que Vuillard aborde en véritable alchimiste sensoriel, l’érigeant en chambre d’échos où faire résonner le minéral avec le métaphysique, le cosmique avec l’humain. Au fond, l’intrigue de Mérimée n’agit qu’en pointillés, dans une chasse à l’homme diurne et mutique qui limite cependant trop ses composants à leurs fonctions élémentaires (l’adulte y est buté et violent, l’enfant vulnérable et naïf, la nature impartiale). Dommage aussi qu’à jeter son récit aux quatre vents, Mateo Falcone se laisse parfois complaisamment submerger, enivré par son paradis de sensations pures et pauvres.

En vérité, rien ne semble plus intéresser Vuillard que de tenir son western antédiluvien au point de bascule exact entre contemplation et expectative. Perdus au milieu d’un nowhere qui est aussi un éden, les hommes y demeurent comme orphelins de leur destin, constamment à la dérive, dans les eaux dormantes d’une psyché universelle d’où remontera, halluciné, le plus terrible des cauchemars d’enfant.