Lundi matin s’ouvre sur une séquence muette décrivant le rituel quotidien de Vincent, employé d’une usine chimique : il traverse son jardin boueux pour s’engouffrer dans sa 4L, attrape avec d’autres ouvriers le train qui le mène à son lieu de travail. Là-bas, entre deux soudures, le voilà qui tente désespérément d’allumer une cigarette en échappant à la vigilance de ses supérieurs. Otar Iosseliani installe d’emblée son film entre chronique sociale et divagation surréaliste : les gestes désinvoltes et mécaniques, le bruit assourdissant des machines, les gargouillis des liquides infects et les dérisoires espaces de liberté laissés à l’ouvrier, sont déconstruits avec humour et sans pathos. Et quand Vincent rentre chez lui, dans une bourgade de campagne, le réconfort est minimal : ses deux fils bricolent sans lui adresser la parole, sa femme fait hurler la télé quand il cherche à s’endormir.

Travail, famille, solitude : Iosseliani s’attaque ici au mode de vie des sociétés industrialisées, sans pourtant tomber dans la lourdeur d’un pamphlet politique, évité ici par la poésie et la fantaisie constantes de la mise en scène. Lundi matin décrit à plaisir la petite vie du bled de Vincent : le laborieux badinage de son fils aîné, un fort en maths, avec une jeune fille férue d’histoire ; la tendresse qui unit son jeune fils à sa grand mère, un curé qui préfère mater la voisine que sonner les cloches… Iosseliani promène allégrement sa caméra autour de ce petit monde bien compartimenté, où chacun ne quitte que rarement sa place et s’adonne à une vie absurde et répétitive sans se poser de questions. Vincent est un peu l’Ulysse de son village, un héros moderne et solitaire, en quête d’une vie meilleure et nouvelle. Son exil n’est qu’une déambulation hasardeuse, à la fois gaie et morbide, qui le conduit finalement à Venise où il s’adonne à son passe temps favori : la peinture. Lundi matin cultive ainsi une forme de nostalgie du bonheur, dénonce la sédentarité au nom d’un impossible nomadisme. Sur son chemin, Vincent trouve plus de désillusion que d’espoir. Les rencontres, souvent drôles, sont tragi-comiques : un ancien ami peintre reconverti en dame-pipi, un vieil héritier d’une famille noble de Venise (joué par Iosseliani lui-même dans une scène hilarante), sénile et mégalomane.

C’est finalement auprès de Carlo, un ouvrier vénitien père de famille, qu’il trouve le réconfort. Avec une constate légèreté, Lundi matin distille ainsi un pessimisme tranquille : le seul remède au malheur n’est pas la fuite, mais dans son partage. L’évasion n’a rien de glorieux, et Venise n’a pas la splendeur théâtrale qu’on lui prête : elle est vue d’un profil modeste, par les yeux d’un homme humble. Quand, au lendemain d’une cuite, Carlo se rend à son travail aux abords de la ville et que Vincent insiste pour l’accompagner (« pour la promenade »), la liberté a déjà un goût d’amertume.