Quelques étudiants fils à papa, haleine vineuse et mèche folle, hantent les nuits lyonnaises de leurs poésies rebelles et de leur soif de révolution. Ils luttent pour la cause des sans-papiers, s’opposent aux expulsions sauvages. Tout en s’impliquant, ils marivaudent : Carmen, l’une des activistes, plaque son petit copain Charles pour Hussain, poète Afghan bientôt sommé à son tour de quitter le territoire. Klotz reprend quelques éléments du Diable probablement de Bresson (1977) : le personnage de Charles, tout d’abord (même air à la fois suprême et con-con, mêmes cheveux, même déroute intellectuelle, mêmes idées suicidaires, même noyade ratée) ensuite, et plus largement, un style, une esthétique (c’est-à-dire, pour le dire très vite, décors dépouillés, à-plats austères, cadrages implacables, hiératisme global, scansion indolente). Ces éléments, il les transpose de la fin des années 70 au gouvernement Sarkozy et sa police de choc. Le Diable sans aucun doute (oui, le film est aussi naïf que ça, et de façon générale infiniment moins passionnant que son modèle), dont la politique paranoïaque suscite des réactions aussi binaires et juvéniles qu’elle-même : difficile de ne pas rire en entendant les comparaisons, récurrentes, avec le gouvernement de Vichy. Mais difficile aussi de ne pas s’attendrir devant le romantisme échevelé du film (Charles immergé dans l’eau diaphane, comme Ophélie, ou bien l’idylle entre Carmen et Hussain, qui noue solidement l’intrigue amoureuse et politique, en les cloîtrant par amour autant que par crainte d’une arrestation).

Quoiqu’il en soit, Nicolas Klotz ayant été jusqu’ici l’auteur d’un cinéma qui, de Paria à La Question humaine, s’était souvent montré subtil et mesuré, évitant avec soin les écueils que ses sujets appelaient (entre SDF, sans-papiers – déjà -, patrons impitoyables), il surprend ici, et c’est peu dire, en fonçant droit sur chacun des récifs qui pointent à l’horizon. Comme si ce qui l’intéressait cette fois, c’était la violence du choc, l’absurdité du geste. Le film ouvre béant le cliché garrelien de l’étudiant révolté, et patauge puérilement à l’intérieur (bobos suicidaires, artistes incompris, jeunes richards têtes à claques, etc.), mais en même temps, et c’est le plus intéressant, en poussant si loin la caricature que celle-ci confine assez vite à l’étrangeté fantastique. Les rues sont désertes, les visages exsangues, les gestes félins, les voix sépulcrales. Voir Low life, c’est jeter un oeil et une oreille dans le nid de vampires dandys, de goules coquettes qui se lèvent la nuit, dorment le jour, et se mordillent entre eux. C’est également voir, dans les squats, des réminiscences vaudou, de la sorcellerie, des peintures tribales, des zombies pétrifiés au contact desquels le film s’irise de nouveaux reflets horrifiques. Autre idée, fabuleuse : les lettres d’expulsion sont ensorcelées par les destinataires, qui les déposent au hasard dans les poches des riches et des flics, alors promis à une destinée très courte. De cette idée, et des autres, on reste néanmoins à distance. Le film est ailleurs. Où ? on ne sait pas, dans la lune, il plane au-dessus de ses pistes plutôt qu’il ne les creuse, barbotte en l’air, papillonne dans ses clichés, se donne des allures. Si Klotz, au fond, ne fait que radicaliser à l’extrême le mélange de réalisme contextuel et de forme fantastique déjà expérimenté dans La Question humaine, il échange cette fois la gradation lente (dans laquelle il s’inscrivait alors) pour l’immédiateté d’un univers clos, replié sur lui-même. Il le fait avec un aplomb tel que le ridicule de son film en devient comme scintillant, illuminé, et que passés les premiers gloussements, on n’ose plus en rire – sans savoir vraiment si c’est parce qu’on trouve ça beau, ou simplement parce qu’on en a assez.