Faire un film, disait Kubrick, c’est aussi simple que de vouloir écrire Guerre et paix dans une auto-tamponneuse. Lost in la Mancha se propose de vérifier l’adage à travers « l’un-making of » de L’Homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam. « Un-making of » parce que le film de Gilliam, finalement, n’a jamais vu le jour. On se souvient que l’ex Monty Python s’était mis en tête d’adapter Cervantès en faisant de Sancho Pança non plus un gros paysan mais un publicitaire interprété par Johnny Depp, téléporté du XXe au XVIe siècle et forcé de suivre Jean Rochefort dans ses picaresques chevauchées. Le budget était conséquent (32 millions de dollars), surtout pour une production européenne. Hélas pour les admirateurs de Gilliam et pour les autres, davantage attirés par le casting Rochefort / Depp, l’aventure tourna court : une double hernie discale du comédien français, incapable de monter à cheval, décidant du sort du film. C’était du moins, à l’époque, l’explication de l’arrêt du tournage, reporté sine die.

Le film de Keith Fulton et Louis Pepe révèle que les problèmes de santé de Rochefort ne furent qu’une péripétie parmi d’autres dans un projet qui, mal embouché dès le début, tourna vite à la débâcle. Lost in la Mancha débute longtemps avant le tournage proprement dit, laissant apparaître un amoncellement d’approximations dans la production (contrats imprécis, planning aberrant, acteurs dans la nature, etc.). A mesure que l’échéance approche, l’infaisabilité de la chose paraît de plus en plus évidente mais chacun masque sa nervosité, Gilliam le premier, qui ne se départ jamais de son sourire -une sorte d’élégance dans le désoeuvrement. Bien sûr, le documentaire fait sans doute l’impasse sur des moments plus que tendus, mais voir le réalisateur garder un certain sens de l’humour impressionne. D’autant que la suite est franchement burlesque. Premier jour de tournage : les figurants ne sont pas au point tandis que des avions de chasse balaient le ciel, tuant dans l’oeuf toute velléité de prise de son directe. Deuxième jour : un déluge s’abat sur le plateau, le matériel est trempé. Troisième jour : on nettoie et on révise le contrat d’assurance. Quatrième jour : Jean Rochefort met un bon quart d’heure à grimper à cheval. Cinquième jour : Rochefort quitte le tournage. Sixième jour : on remballe.

D’abord, le documentaire inquiète un peu à vouloir mythifier un film qui ne l’est pas, en évoquant une mystérieuse « malédiction » de Don Quichotte et en traçant un double parallèle avec le projet d’Orson Wells (dont les restes, montés par Jess Franco, viennent de sortir en DVD) et la lourde métaphore des moulins. Mais c’est l’incrédulité devant autant d’anecdotes invraisemblables qui l’emporte, et le plaisir un rien sadique d’assister au récit d’un splendide fiasco.