Précédé d’une rumeur flatteuse acquise lors de sa présentation à Venise, Lola est le quatrième film de Brillante Mendoza à trouver le chemin des salles françaises. Quatre films, c’est peu et c’est beaucoup. Peu : c’est à peine la moitié de la filmographie de Mendoza, cinéaste philippin et prolifique – dix films tournés, déjà, depuis 2005. Beaucoup : c’est le quatrième en seulement deux ans, deux ans qui ont fait de Mendoza un chouchou des festivals (deux sélections coup sur coup à Cannes en compétition officielle avec Serbis et Kinatay) et, de fait, la pointe la plus visible d’une cinématographie bouillonnante venue d’Asie tropicale. Ce n’est pourtant pas, forcément, le plus passionnant. Mendoza a un vrai talent, ce serait injuste de le nier, et en même temps, difficile jusqu’ici d’aimer ses films autrement qu’à moitié.

A moitié seulement parce que s’y font concurrence, assez systématiquement, une belle qualité et un défaut pénible. Sur la pente documentaire où ses films s’élancent, Mendoza a un vrai talent de filmeur, une façon épatante de se frayer un chemin dans la fiction en collant à ses personnages, en les accompagnant avec le soucis constant de leur dignité, en tissant avec eux un lien organique qui entraine les films dans un flottement, un vertige, parfois saisissant. Dommage qu’ensuite, Mendoza se sente toujours obligé de faire le point, d’éclairer lourdement ses déjà voyantes intentions – le néon « Family » sur la façade du cinéma de Serbis, clignotant comme clignotent, tout du long, les « thèmes » du film. Ici ou ailleurs, c’est la note d’intention qui clignote, comme s’il fallait à Mendoza, dans un fatigant réflexe d’application, s’assurer la compréhension et la complicité de son public, repasser en gras sa copie pour le concours d’entrée aux festivals.

Lola, qui revient à la veine mélo de John John, s’avance avec la même qualité et le même défaut, mais c’est peut-être, parmi ceux qu’on a vu, son film le plus réussi. « Lola » veut dire grand-mère en tagalog, la langue des Philippines, et le film invite à en suivre deux, l’une dont le petit-fils vient de se faire assassiner en pleine rue, l’autre qui est la grand-mère du meurtrier. Le film est vraiment beau quand il s’agit de suivre le quotidien pauvre des vieilles dames (l’une qui essaie de réunir l’argent nécessaire aux funérailles, l’autre de convaincre la première de retirer sa plainte). Collant à leurs démarches, à leur peine, Mendoza trouve un mélange de frontalité et de pudeur, dessinant une morale du regard qui est sûrement le principal atout de son cinéma. Sauf que la qualité de ce regard, qui semble advenir naturellement, par pure intuition (dictée par les personnages qu’il suit caméra au poing), Mendoza ne peut s’empêcher, plus loin, de la mettre en scène, de la faire valoir dans une scène d’une ahurissante balourdise. Depuis le train à bord duquel la première grand-mère poursuit sa quête, il filme la misère des faubourgs de Manille. Les plans sont beaux et simples et puis la caméra se replie dans le wagon, où sévit un cinéaste cynique qui, filmant le même décor, fait des zooms obscènes sur les miséreux et n’est là que pour servir d’anti-modèle à Mendoza. Rien de plus pénible que de se voir ainsi administrer, à la fois, le film, et le commentaire élogieux et fait maison de sa méthode. C’est un vrai gâchis surtout, parce qu’ailleurs le film est vraiment beau, et confirme qu’à la condition qu’il se libère de ce genre de manie, le cinéma de Mendoza a de beaux jours devant lui.