Consacré par une suite de courts-métrages délirants (Changement de trottoir, French Kiss), Antonin Peretjatko était attendu au tournant depuis le succès de La Fille du 14 juillet, qui avait permis à son entreprise de facéties cinéphiles de passer le cap fatal du format long. Le cinéaste, il faut le dire, demeure aujourd’hui l’un des plus ambitieux artificiers du gag, à même de labourer en quelques attentats comiques bien ajustés le pâturage flétri du rire français.

La Loi de la jungle déboule ainsi sur nos écrans à point nommé (soit quelques semaines après les sorties de Ma Loute de Dumont et Elle de Paul Verhoeven) pour confirmer que le cinéma français le plus captivant aujourd’hui est celui qui a décidé de faire du piratage farcesque sa stratégie de survie, trouvant dans la satire des archétypes hexagonaux une porte de sortie inespérée. Dans Elle, un téléfilm France 2 se voyait hacké par deux astres noirs (Verhoeven, Huppert) ; dans Ma Loute, Dumont offrait un gratin de stars en pâture à sa meute d’anges cassés. Avec son ton de parodie ORTF et son casting fait maison, la proposition de Peretjatko semble certes moins intrépide, redessinant son pré carré à l’aide des ingrédients habituels de l’auteur. Mais la promesse d’aventure est ailleurs et consiste, plus littéralement, à exporter sa coterie fanfaronne à la fois très loin (l’Amérique latine) et tout près (la Guyane française).

Parce que derrière la gymnastique parodique et paillarde, le cinéaste a, depuis le début, un sujet. Et ce sujet, c’est l’identité française (son folklore, sa culture, son cinéma), ici arrachée de son pays de cocagne pour être projetée en terre étrangère et hostile : le film suit ainsi le périple d’un hurluberlu de la haute administration, envoyé en Guyane pour vérifier les normes d’un improbable projet de station de ski indoor (“Guyaneige”). De ce point de vue, La Loi de la jungle est plutôt une réussite, grâce à une force de frappe comique s’acclimatant parfaitement à l’environnement ambiant, cette forêt tropicale suintante où finissent par s’égarer les protagonistes.

Peretjatko parvient ainsi à déployer dans ce décor naturel son art inégalé du coq à l’âne, ce cafouillage burlesque réglé au millimètre, fait d’irruptions intempestives (reptiles, insectes), de télescopages absurdes et de gag amplifié jusqu’à l’écoeurement (le crevage d’abcès). Mais si son mode opératoire survit aux remous du voyage, ses pitreries situationnistes finissent par buter sur les mêmes apories que La Fille du 14 juillet, qui, on s’en souvient, accumulaient déjà les coups de force et les sorties de route pour mieux ajourner le moment où il se prendra son propre mur.

Ici, l’expédition amazonienne a beau filer à toute vitesse, charrier rires et désordre partout où elle passe, le film donne trop rapidement l’impression de manquer de cap, jusqu’à se raccrocher progressivement à une amourette sans vigueur. Car il y a bel et bien deux films dans La Loi de la jungle : l’une est une entreprise de sabordage satirico-politique à l’inspiration hallucinante et à l’humeur inquiète ; l’autre est une comédie romantique avec Vincent Macaigne et Vimala Pons, qui surnage gaiement au-dessus de la tempête mais se révèle vite crispante, tant elle donne le sentiment d’avoir été vue mille fois. C’est encore tout le problème de Peretjatko, dont le génie autarcique est autant un viatique qu’une impasse, et condamne chaque film à tenir dangereusement en équilibre, entre tous les espoirs et toutes les limites de son cinéma.

54 COMMENTAIRES

  1. Ben ouais c’était bien La Fille du 14 juillet, vous avez le droit de penser le contraire, mais pas besoin de cynisme. Même que celui-là est encore meilleur, yes, really.

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