Vous n’êtes plus un enfant, mais vous en avez un. Pour peu que la faune n’ait plus de secret pour lui, vous ne pouvez désormais vous dérober à l’appel des fonds marins. Entré dans la salle, plusieurs hypothèses s’offrent à vous.

1- L’ennui que vous commencez d’éprouver est inversement proportionnel à l’émerveillement de la prunelle de vos yeux, qui ouvre grand les siens. Vous en profitez mentalement pour dresser un bilan du film de dauphin, genre en soi. Il faudrait peut-être commencer par interroger cet objet d’amour finalement assez pérenne (demandez à un adulte ce qu’il pense des dauphins, en général le plus grand bien), assez puissamment séducteur pour avoir laissé dans la mémoire collective les noms indélébiles de Flipper et Oum (celui du chocolat blanc). Il en va du dauphin comme du bébé phoque en plus intelligent, il est intouchable. Cela tient sans doute à son sourire perpétuellement radieux, qui se transforme en rire au prix d’une caresse. Et si les morsures sont rares, elles n’ont d’autre cause qu’une faim bien légitime. Affligez pour finir le dauphin d’un handicap (c’est le cas de ce pauvre Winter), vous obtiendrez le scénario parfait qui permettra la complète identification des plus jeunes spectateurs.

Ainsi, même si l’on a un peu oublié que Besson en fit jadis un symbole de mort en même temps que l’étendard d’une génération, il reste le champion incontesté des mamours enfantines. Bref, vous commencez à regretter d’être allé voir Winter le dauphin plutôt que Winter Sleep, mais il faut tenir encore. Si vous répondez en tout point à cette hypothèse, nous n’avons plus rien à nous dire. Pour les autres, passons à l’hypothèse numéro deux.

2- Vous vous dites que les critiques intellos ne quittent pour ainsi dire jamais leur taille adulte, difficiles prescripteurs de parents en attente. Peu consentent ainsi à redescendre aux sources d’une cinéphilie nourrie par ces premières fois qui font le regard agrandi et l’enfance émerveillée. Notre seconde hypothèse suppose donc que vous essayiez de comprendre votre bambin ; il faudra de toute façon en discuter avec lui au retour. Autant dire vous mettre à sa place, à hauteur de ses yeux. Essayons.

Le film commence par une scène assez traumatisante, un vol de doudou. Perpétré par un pélican qui prend d’abord la peine de faire rire, en fourrant son bec dans le rond postérieur d’une maman affairée au bonheur de sa fille. Le pélican s’approche d’abord en vue subjective et laisse penser que le film tentera ainsi d’offrir le point de vue des animaux. C’est chose faite avec Winter, le clou du spectacle offert chaque jour par un Marineland qui couple cette fonction avec celle d’hôpital vétérinaire. Winter en effet est atrophié de sa nageoire caudale (ce point d’anatomie zoologique est longuement expliqué par Merlin à Moustique dans Merlin l’Enchanteur, nul besoin de l’expliquer à votre enfant), et puisqu’il s’agit d’une suite, il faut comprendre que l’obtention d’une prothèse adéquate était l’enjeu du premier film.

 

Problème, la compagne de Winter meurt de vieillesse et sa remplaçante doit seulement guérir d’un méchant coup de soleil. Second problème, le credo du parc est de guérir puis de relâcher, en aucun cas de garder l’impétrant en captivité. D’où le dilemme qui préside à toute édification morale : faut-il ou non relâcher la bête au risque de plonger dans la dépression un Winter rendu à sa solitude ? On conviendra que le public ciblé ici sera plus volontiers celui des préados. Du haut de leur autorité bienveillante, les adultes en responsabilité ont ici la sagesse infuse des agent de la fable, qui transite naturellement par eux afin que leurs enfants puissent d’eux-mêmes en tirer la leçon. Objets transitionnels à l’appui, la fable se déploie avec la pédagogie nécessaire, où l’on reconnaîtra volontiers le socratisme mal digéré d’une pseudo maïeutique qui voudrait faire croire aux enfants qu’ils ont trouvé la réponse tout seuls, en vertu de quoi c’est plutôt la ruse de l’adulte qui prévaut sur la réelle émancipation de l’enfant. Mais revenons au regard supposé des moins de six ans. Que voient-ils ?

C’est là que le point de vue de l’animal offre un intérêt, ajusté à celui de l’enfant. Derrière la surface agitée par des mains humaines se donne à voir le flou du monde, où s’expriment ensemble le désir et la crainte. Ils voient aussi que quelque chose manque (un membre, un être cher). Les amputés sont ainsi invités à partager leur expérience au contact du dauphin. En aucun cas bien sûr l’amputation ne saurait être le sujet du film (un adulte le chercherait en vain). Il faut au contraire conjurer ce qui manque, faire son deuil, par quoi l’amputation est d’abord une injonction à l’harmonie. Le bras manquant d’une jolie femme ne saurait ainsi rompre le bel ordonnancement d’une chorégraphie sous-marine (séquences d’ailleurs très belles, diluées par la liquidité du montage). Il en va de même pour nos chers disparus. Sans eux, la vie doit continuer. Résorber le manque, continuer à vivre, on reconnaît là les prérogatives du care et pour un enfant la confirmation de son premier vœu d’orientation : devenir vétérinaire. En quoi l’éthique du care n’a rien à voir avec l’assistanat. Le soin apporté aux bêtes n’est qu’un prélude à leur liberté : voilà donc bien un film qui peut plaire aux parents (comme aux électeurs de gauche). On y apprend finalement que soigner, au contraire de retenir, conduit à émanciper. Quoi qu’il arrive, il faut toujours sauver Willy.