Dans un village niché au coeur des montagnes berbères, gynécée à ciel ouvert, des femmes isolées du monde vendent chaque soir de pleine lune leur corps pour une poignée de dirhams. Un mystérieux étranger débarque, il découvre la noblesse et les rites de cette armée d’amazones pleines de rancœur et de mélancolie. Western résolument féministe, Les Yeux secs surprend d’abord par sa texture visuelle extrêmement riche, la beauté souveraine de ses décors, ses plans très léoniens qui dépassent souvent en majesté ceux d’un Blueberry ou d’un 800 balles. Rien que pour cela, le premier film de Narjiss Nejjar est une surprise, bouleversant un paysage cinématographique marocain gangrené et miséreux à souhait.

Reste le récit, qui fait succéder au mystère et à la lenteur de l’ouverture une succession de scènes assez convenues, mais où se dévoile malgré tout une belle assurance de mise en scène : description minutieuse de la malédiction qui pèse sur le village, rudesse de la vie locale, naissance enfin d’un amour fou et contrarié entre le voyageur et la plus envoûtante des beautés fatales qui règnent sur les lieux. Si le film tient de bout en bout son intensité esthétique, il s’amollit sur le fond, revenant vers un romanesque exotique dont on aurait pu se passer. C’est dans sa dernière demi-heure que tout repart : pas forcément pour le meilleur (l’homme, humilié par la femme, se roule nu sur des sommets enneigés), mais avec une croyance dans sa lutte qui force le respect.

Alors que 98 % de la production marocaine se borne à représenter la femme selon l’éternelle estampille maman / putain, que la trivialité et l’obscénité se nichent au cœur de ses plus glorieux produits (Casablanca by night, succès monstrueux au pays qui ferait passer les productions Luc Besson pour des publicités pour les Chiennes de garde), Les Yeux secs se perd joliment, parfois de manière un peu orgueilleuse et inconsidérée, dans un beau renversement des valeurs. A ce prix, le grotesque de son final est bien vite oublié.