A de rares exceptions près (l’on songe notamment à Patricia Mazuy, Philippe Ramos ou Yves Caumon), le milieu agricole n’a pas droit de cité dans le jeune cinéma français qui, même lorsqu’il s’éloigne de Paris comme centre de fiction, préfère les bords de mer ou la froide province industrielle aux tracteurs et aux tas de fumier. Ariane Doublet, jeune réalisatrice issue de la Femis, a eu l’idée de construire un documentaire autour de plusieurs familles paysannes du pays de Caux. Ses intentions ne manquent pas de générosité : enregistrer le quotidien et la parole d’une catégorie socioprofessionnelle peu médiatisée, mal connue ou superficiellement du spectateur urbain. En vidéo et avec une équipe légère, elle filme les quelques jours qui précèdent l’éclipse totale du soleil du 11 août 1999, journée à l’occasion de laquelle vont débarquer des milliers de citadins, éléments exogènes au milieu qui l’intéresse et qui, tout naturellement, vont lui servir de contrepoint aux intervenants principaux. Les Terriens en question parlent avec spontanéité de leur mode de vie, du rythme de la nature, du regard qu’ils portent sur l’autre monde, celui de la ville et de ses remous, et de la façon dont cet autre monde les considère. Des témoignages qui sont autant de pierres apportées à l’édifice d’une sociologie du monde rural, qui constituent un matériau documentaire aussi riche qu’un autre.

A la télévision, en deuxième partie de soirée, ce programme trouverait une place de choix. On comprend moins bien toutefois ce qui justifie sa diffusion en salles. Si Les Terriens évitent les travers du reportage bricolé à la va-vite ou une vision formolée d’un terroir vert et gras où survivrait un certain patrimoine, sa construction, en revanche, manque de perspectives ou d’un point de vue pertinent. Il est certes difficile de marcher sur les traces indélébiles d’un Georges Rouquier mais force est de reconnaître que Farrebique et Biquefarre abordaient le même sujet avec un œil réellement cinématographique et que la poésie jaillissait de son observation. Ici, l’image est terne, le propos bien-pensant mais, en définitive, stérile. A trop bien regarder les poules, Ariane Doublet en a visiblement oublié le cinéma : c’est regrettable.