De remplissage publicitaire sur MTV en axe de modernité pour films d’auteur communautaires (Larry Clark), le skateboard s’est lentement mais sûrement imposé au cinéma américain, en petit bon mythe opportuniste. D’équivalent, on ne voit guère que le rock ou le western à couvrir un terrain aussi vaste que la petite planche, qui entre discrétion mainstream et poses underground s’inscrit aussi bien en simple garniture ludique (Spielberg – Zemeckis période 80) que comme pur emblème urbain. Les Seigneurs de Dogtown est à la croisée des chemins, à la fois film-somme du genre, biopic purement hollywoodien et prétexte à déployer une mécanique de wonderboy. Longtemps dévolu à David Fincher, le film est finalement revenu à Catherine Hardwicke. Choix malin tant la cinéaste de Thirteen, petit caméléon sympathique et roublard, surfe elle aussi entre deux eaux : macro effets pour micro-films, en bref, un cinéma-chaînon liant Larry Clark à Katryn Bigelow.

A l’avenant, le casting aligne une icône arty (le blond John Robinson d’Elephant), une valeur montante de Sundance (Victor Rasuk californisé après le New Yorkais Long way home) et Emile Hirsh, héros du teen movie Girl next door. Ensemble, ils incarnent trois figures historiques du skate, signataires des commandements du sport extrêmes dans les années 70 : looping divers, innovations techniques et fondation marketing de la skate board attitude. Comme tout biopic, le film égraine leurs trouvailles en trois actes chronologiques : rencontres hasardeuses du mentor, ici un beatnik de composition plutôt attachant, heures de gloire et décadences diverses, entre escroqueries d’agents cyniques, innocence perdue par le cancer qui gangrène un ami du trio et culte de la loose magnifique. Même scolarité quant aux scènes d’actions, à base de grands angles un poil décadrés, lumière crue et couleurs contrastées, caméra juchée sur une planche suivant les jeunes seigneurs.

L’enjeu est minimaliste mais pas minimum. Tout l’Art de Catherine Hardwicke consiste à puiser dans les clichés, une candeur énergisante, une sorte de boost simplissisme, limpide. On ne peut même parler de sublimation ni même d’iconisation forcenée, mais plutôt d’une acceptation franche du collier de n’importe quelle convention, comme si le film déflorait chaque scène. D’où une autosatisfaction en forme de modestie absolue qui trouve une juste résonance à la culture skate. Le plaisir naît autant de la confidentialité communautaire qu’à reproduire des codes connus d’entre tous. Témoin, les séquences d’entraînements pirates dans les incurvations ondulées des piscines asséchées d’une résidence californienne, incontestablement les plus belles scènes du film, qui portent à incandescence le petit cinéma de Hardwicke. Gloire du geste collectif où chacun trouve son style, d’un mini-monde enchanté aux règles simples provoquant un bonheur sain : réussir un flip, impressionner une fille, braver l’interdit. Bon petit film.