Sur le papier, c’est le film de l’année : un pur sujet de série B -les zombies sont en ville- traité sur le mode calme et décalé du drame intime, emballé dans un style tout en transparence et couleurs froides. Cela donne : dans une petite ville nouvelle, à mi-chemin de Playtime et de la cité de L’Amie de mon amie, une foule de morts s’échappant du cimetière, un ruban de macchabées sur le retour s’écoulant le long de la rue principale, sous les yeux ahuris d’une foule de badauds sortis du bar des sports ou de leur bureau pour assister, inquiets, au spectacle. C’est l’image que vous voyez sur l’affiche du film, très impressionnante, en plein écho au thème du croisement entre des corps qui n’ont rien à faire là et un paysage indifférent, thème qui obsède nombre de photographes aujourd’hui. Les Revenants, ce serait beau comme la rencontre fortuite, sur une table de dissection, de Zombie et du best of du cinéma d’auteur français ; beau comme un film d’Eric Rohmero.

Mais voilà, Les Revenants est un film constipé. Déjà, on aimerait bien savoir pourquoi le genre, dans le cinéma dit d’auteur à la française, n’est forcément qu’un accessoire à utiliser puis jeter comme un kleenex, en se bouchant le nez. Le côté « j’ai pas peur du fantastique, j’adore ça, go go go, je fonce », ici, est dans le fond assez hypocrite. Parce que prétexter une sorte de rapport désinhibé au genre semble, dans le film de Robin Campillo, masquer une autre ambition : faire le travail du genre à sa place, autrement dit faire « un film de genre intelligent », locution vue a priori comme contradictoire. La série B, c’est bien sur la forme, ça fait de l’effet cinématographiquement parlant (les zombies décharnés avec leurs bras ballants et leur mâchoire de travers, tout ça), mais le fond, le fond sérieux, il faut laisser ça aux auteurs, aux penseurs, aux vrais artistes, à ceux qui ne rigolent pas. Evidemment Robin Campillo vous dirait que pas du tout. N’empêche que son film, lui, ne dit que ça.

Voilà à quoi s’affaire Les Revenants, tout comme le conseil municipal de la ville où se déroule le film : que faire, à toutes les échelles (dans la ville, au travail, dans chaque foyer) de ces corps en trop, revenus alors qu’on ne les attendait plus, qu’on les avait déjà remplacés ? Et plus loin, la même question répétée à l’échelle du champ, du plan, du cadre, de la mise en scène. Vraiment un beau sujet, décidément. Ramener ce problème de morts-vivants à des questions de société (la réinsertion) et d’intimité (le deuil à défaire). Mais c’est fait avec un tel esprit de sérieux que tout ce qui fait la puissance des films de genre est évacué, nettoyé : la trivialité, l’émotion (voir le focus sur le couple qui retrouve leur petit garçon mort : pas un gramme d’émotion, juste des questions), l’humour, la peur, le rapport au monstrueux, à la chair, à l’étrangeté radicale, l’action, les situations tendues, etc. Désolé, mais des films sur un thème proche (prenons les deux parmi les plus évidents : Zombie et Kaïro), tout en étant des films de genre, des séries B sans le moindre surmoi auteurisant, la moindre pulsion de pensum, simplement par la force de leur mise en scène, racontent des choses largement aussi intelligentes que Les Revenants. Ils ont le souci de l’efficacité, donnent dans le gore et les courses-poursuites. Romero et Kurosawa ne visent pas l’agrégation de réflexionologie sur la condition post-mortem, la figuration de l’altérité, le rapport à l’énigme de l’au-delà ou la présente absence des disparus. N’empêche qu’on y pense davantage en voyant leurs films que devant Les Revenants. C’est fou, non ?