Le film prend pied dans les années 80 : le régime de Saddam Hussein oeuvre à pleine répression génocidaire contre la communauté kurde. Alors que toute correspondance lettrée fait l’objet d’une censure drastique, un vieux postier détourne la doxa via des enregistrements sur cassettes audio qu’il achemine à ses clients dispersés aux quatre coins du pays. La posture cyclothymique (entre comédie et pure contemplation) des Murmures du vent semble l’atout majeur d’un film soucieux d’échapper aux canons d’une catégorie bâtarde : le portrait communautaire martyr, souvent promis au rang festivalier plutôt qu’à l’exploitation publique.

La dénonciation d’un régime à nier toute existence légale d’une population, et son éradication ethnique, s’introduit certes comme un éventuel cheval de bataille contre l’obscurantisme. Mais le discours déroge aux règles du pamphlet contestataire pour lui préférer un détour esthétique. La vision plutôt que le mégaphone, semble-t-on comprendre au gré de diverses saynètes toute dotée d’une esthétique aussi cossue que millimétrée. Fort heureusement, Sharam Alidi contredit une gageure de première œuvre : distiller sa stase, la malmener par une ironie sous-jacente, ne jamais abandonner la fiction face aux dangers du sur-esthétisme. Faire d’un postier le porte-voix de l’intime réprimé (le cri enregistré d’un nouveau né comme slogan de rébellion), remplacer la résistance épistolaire par la parole sauvent l’oeuvre des ornières du protest-moviesophistiqué. Le film trouve son meilleur lorsqu’il choisit le détournement : un vieillard comme chantre itinérant de la contestation en sourdine, un technicien aveugle fournisseur de radios pirates (comme un cousin édenté du Q bondien), et d’autres personnages picaresques donnent au film des allures d’espionnage artisanal. Belle idée que de déterritorialiser la tragédie d’un background local vers d’autres stratosphères, plus ludiques et cinéphiles.

Mais cette invocation d’héritages culturels trouve aussi sa limite : dans l’alignement continu, presque obligé, des références graphiques. Entre Tarkovski (l’arbre où sont accrochées toutes les radios confisquées, comme des icones christiques, à grand renfort de sublimation par travellings) et Kiarostami (l’évidente et malencontreuse affiliation), la marque du cinéaste peine peut être encore à sortir du carcan du bon disciple atavique envers un collège de maîtres. Faut-il pour autant condamner l’ingestion de telles influences picturales ? Dans l’hypothétique usage de la chose comme élan vers des sphères plus intimes, pas forcément. Shalim Alidi n’y réussit que par alternance. Mais ces fameux susurrements des éléments (l’animisme constant des décors et des messages zéphiriens), seule obsession finale de cet esthète en herbe, sont assurément le meilleur passeport pour une filmographie future que l’on devine fort stimulante.