Il faut souffrir un peu pour aborder le cinéma de HPG. On devra flirter avec le laid, se coltiner tics auteuristes et intentions lourdingues, faire abstraction comme on peut. C’est normal : un corps porno doit souffrir pour être beau (sur le tournage, physiquement, ou en dehors, dans la vie), et HPG applique en retour cette logique masochiste à son oeuvre « sérieuse ». Ici le cinéma est conçu comme un déversoir, en même temps qu’une sorte de giron maternel auprès duquel le hardeur paumé vient se réfugier, implorer des réponses à ses questions existentielles pour « s’assumer » (c’est son motto, répété de plateau télé en dossier de presse). Pourquoi, côté public, s’infliger cette ciné-thérapie ? Parce que celle-ci mène double-jeu : HPG vient consulter mais se paye la tête du psy. Il saborde sa propre ambition de cinéaste, refuse de prendre au sérieux la reconversion auteurisante qui fait mine de se profiler – à eux deux, On ne devrait pas exister et Les Mouvements du bassin évoquent une ligue cauchemardesque entre Godard, Jean-Louis Costes et Gaspar Noé.

Si HPG salope tout, même son propre salut artistique, c’est pour jouer les pestes têtues, faire mine de se racheter dans le cinéma « intelligent » tout en se foutant de celui-ci. Il y a là-dedans la ténacité du gamin sociopathe qui, au lieu d’obéir, donne sciemment le bâton pour se faire battre. Le héros d’On ne devrait pas exister illustrait ce comportement (tardant à bander sur un tournage porno calamiteux, il contrait les reproches du réalisateur en lui éjaculant au visage). L’alter-ego des Mouvements du bassin est du même bois : face à l’autorité des colosses Cantona et Le Banner, Hervé provoque, feint la crétinerie, se fait battre comme un chien. C’est aussi la logique du film lui-même : en tournant cette fable mal foutue (le destin d’un gardien de zoo viré croise celui d’un couple lesbien qui cherche à enfanter), HPG fait exactement ce qu’il ne faut pas faire, ce qu’on lui interdit. C’est-à-dire une oeuvrette indé bardée d’un réalisme douteux, style Rossellini chez Patrice Cabanel, truffée de métaphores cheap sur l’angoisse de la fertilité (tout le monde voit des bébés volants et même les thon-mayos produisent des jets de foutre).

Reprocher à HPG ce mimétisme arty, ce serait donc ne pas voir cette démarche maso, désespérée mais aussi délicieusement narquoise. En pataugeant dans le grand bain des auteurs, comme un teckel viendrait jouer avec des bergers allemands, HPG court à sa perte, mais il le sait et c’est son but : il s’agit justement de clamer son anomie absolue, de la revendiquer jusqu’au suicide artistique. L’idée n’est pas de trouver une dignité de cinéaste, de « s’assumer » enfin, mais bien de rester un emmerdeur, quitte à ramper comme un asticot rossé par Le Banner. Pour lui, l’exercice est sans doute cathartique, pour son public, c’est surtout très drôle. Aussi, il ne faut pas croire que tout chez HPG est affaire de masochisme et d’autoflagellation : derrière la mise en scène du dégoût de soi, HPG s’adore, conscient de son génie, bien réel, quand il s’agit d’aggraver son cas, de rendre laid et risible tout ce qu’il touche – ici, donc le cinéma d’auteur français.

Bien que volontairement saboté, le film peut aussi réellement énerver. Toujours à deux doigts du nul, HPG tombe parfois dedans, surtout lorsqu’il filme une romance lesbienne dévorée par les clichés. Mais là encore, c’est à se demander s’il ne fait pas un peu exprès. Négliger la partie féminine de son script a du sens, c’est faire un nouvel aveu d’impuissance au public, lui crier qu’il est incapable de filmer des femmes, incapable de filmer autre chose que lui, et qu’en plus, il s’en fout.

Evidemment, il ne faut pas le croire. HPG peut briller quand il filme ses personnages pour de bon. Les formules sont parfois voyantes mais toujours tordues : Cantona, même en mac de troisième zone à moitié fou, incarne le « B.O.S.S ». de HPG, sa virilité digne le ramène à sa condition de sous-homme. Jérôme Le Banner, le mentor imaginaire qui hante les couloirs du zoo, lui sert aussi de négatif nietzschéen (Le Banner est à HPG ce que HPG est au singe, c’est l’idée). Il faut voir son crâne de bébé voyeur épier le fourgon où Cantona file le parfait amour avec sa gagneuse transsexuelle (Marie D’Estrées) : HPG réussit alors de vrais moments de burlesque glauquissime, et cesse de tromper son monde avec son autoflagellation complaisante et roublarde.