Le dernier film du réalisateur Lars von Trier, révélé au public par Breaking the waves choque, on y a vu un film offensant et gratuit. Comment faire un film sur l’idiotie sans verser immédiatement dans l’oeuvre pédagogique et bassement humaniste ? Il semblerait que Lars von Trier ait trouvé la réponse sous la forme de cette fable cruelle et non dépourvue d’une certaine morale, dont la principale qualité est de ne pas pointer du doigt l’idiot, mais plutôt la gêne que sa présence occasionne.

Caméra à l’épaule, Lars von Trier filme un groupe de personnes qui cultivent l’idiotie comme un art de vivre. La meilleure idée de ce film très inventif, réside dans la mise en avant des réactions des personnes vis à vis du comportement dérangeant du groupe, voire leur mesquinerie et leur bon sentimentalisme écoeurant. La vie retirée des héros à l’intérieur d’une maison de campagne est des plus étranges. Leur désinhibition, la recherche de l’idiot en eux, les rend heureux. Loin de tout égocentrisme et de toute vanité mal placée, le groupe est uni par cette idéologie et par l’apologie qu’ils font de l’idiotie. « L’idiotie est un luxe mais c’est aussi un progrès » énonce fièrement Stöffer, le dirigeant du groupe, devant l’incompréhension de Karen, une fille perdue qui s’interroge sérieusement sur les motivations de ces faux idiots. Seulement, elle découvrira que c’est autant pour se moquer que par volonté de mimétisme que le groupe s’affiche comme tel à tous. Ainsi, transformés en handicapés, les protagonistes oublient leurs problèmes, se délivrent de leurs fantasmes, bref, se débarrassent de leur aliénation quotidienne. Pour l’auteur, la joie de vivre, le bonheur, sont incompatibles avec l’intelligence. Retrouver l’idiot qui est en soi semble être la seule solution proposée comme nouvel art de vivre. « Quel est l’intérêt d’une société où les gens deviennent de plus en plus riches sans que personne ne soit plus heureux ? » demande le chef, montrant son dédain pour la société bourgeoise. La deuxième partie du film – la décadence du groupe – met en valeur le côté purement utopique et irrationnel de l’idéologie de Stöffer.

L’idiotie n’est pas acceptable au sein de la société, elle est, par nature, irrémédiablement exogène. Les séquences d’isolement de certains personnages face à la caméra, les engageant à analyser leur ancien comportement au sein du groupe, participent à l’unité du film en tant que documentaire, ce qui justifie la présence de nombreux plans où le micro est dans le champ et la qualité approximative du cadrage surtout. Lars von Trier abandonne une forme, que beaucoup pourtant, avait reconnue comme talentueuse et avant gardiste, pour un style plus simple au service de l’histoire, derrière laquelle l’auteur se doit de totalement disparaître au point même de ne plus figurer au générique.

Les Idiots est un film original, extrêmement drôle qui, même s’il fait pour l’instant figure d’exception dans la filmographie du réalisateur, n’est pas du tout décevant. Ainsi, à tous ceux qui ne se croient qu’intelligents, il peut être bon d’aller voir ce film pour retrouver l’idiot qui sommeille en chacun de nous. De telles retrouvailles n’arrivent pas tous les jours…