Après s’être intéressé dans son précédent film, Goodbye South, Goodbye, à la jeunesse actuelle de Taiwan, Hou Hsiao Hsien renoue brillamment avec les films historiques en signant ce petit joyau qu’est Les Fleurs de Shanghai. Ici le sujet n’est plus la ville d’origine du réalisateur, mais la Chine de la fin du 19e siècle et l’univers des élégantes maisons de prostitution. Ces maisons, dans lesquelles régnaient des courtisanes que l’on nommait « les fleurs de Shanghai », étaient le théâtre de relations amoureuses très fortes à une époque où les mariages convenus et officiels prédominaient. Dans sa note d’intention Hou Hsiao Hsien déclare : « Séduire une courtisane requérait de l’argent, mais surtout du temps, de l’attention, de l’assiduité. C’était une fleur qu’il fallait courtiser ». Loin de nous offrir une reconstitution historique des maisons closes de Shanghai avec de l’exotisme et du lyrisme bon marché pour amateurs de films « tour operators », le réalisateur s’intéresse principalement à la sphère intime des sentiments.

Les Fleurs de Shanghai se concentre sur l’univers clos dans lequel évoluent les personnages. C’est à l’intérieur des maisons, souvent dans les mêmes pièces (trois décors en tout ont été utilisés), que se déroulent conflits et idylles. Cette exiguïté de l’espace permet à Hou Hsiao Hsien de travailler minutieusement ce qui est après tout l’unique sujet du film : les rapports entre les hommes qui fréquentaient ces maisons et les femmes qui y régnaient. La caméra se fait alors discrète et n’effectue que de longs mouvements légers comme si elle tentait de se glisser, à l’insu des héros, dans les conversations et les jeux. Les histoires sont rythmées de façon quasi hypnotique par des plans-séquences assez lents qui peuvent ennuyer certes, mais parviennent quand même à dégager des sentiments. L’atmosphère de réclusion qui se dégage de ces maisons est renforcée par un éclairage tout en demi teintes, censé représenter celui des lampes à huile de l’époque ; tout est alors propice à la pénétration des lieux et des histoires.
Encore une fois Hou Hsiao Hsien excelle dans la maîtrise de la mise en scène (que l’on dirait calculée au geste près dans ce film !) et la finesse de son analyse des relations humaines, quelque soit l’époque et le pays. Reprenant une de ses principales préoccupations -les traditions de l’ancienne Chine dans un lieu ultra codifié par les convenances- il réussit à faire sentir l’universalité de ces rituels, à travers lesquels seuls étaient en jeu les rapports humains, les mêmes qu’aujourd’hui…