Douche froide : Peter & Bobby Farrelly viennent, pour la première fois, de rater un film. A tel point que, découvrant ce remake de The Heartbreak Kid, une comédie des années 70 signée Elaine May, on doit se pincer par moments pour s’assurer que ce sont bien les réalisateurs de films plus que chéris (Deux en un, L’Amour extra large, Osmosis Jones) aux commandes de ce qui n’est pas un navet mais, plus grave, un film quelconque. Qu’est-il arrivé aux Frères, précurseur d’une vague de reconnaissance de la comédie américaine mainstream, genre autrefois méprisé et désormais anobli ? Que leur est-il arrivé pour qui semblent ainsi, du moins sur ce film, débordés, notamment par le groupe constitué autour du producteur-réalisateur Judd Apatow (40 ans, toujours puceau, En cloque, Supergrave), alors qu’ils flottent potentiellement bien au-dessus de lui ? Il y a sans doute à ce dur constat une explication assez simple. Après Mary à tout prix, énorme carton qui posait les bases de ce que l’on considérait alors comme un style trash et régressif, après Fous d’Irène gros carton qui affinait les fondements de leur cinéma, les Farrelly ont connus une suite d’échecs plus ou moins graves avec des films qui sont pourtant leurs projets les plus ambitieux et les plus importants : Osmosis Jones, puis L’Amour extra large et leur chef-d’oeuvre Deux en un. C’est ainsi, plus les films étaient beaux, moins ils marchaient. Ce sont des cinéastes en perte de vitesse, commercialement parlant, qui devaient amorcer un virage avec un film assurément mineur, mais garant d’une continuité de leur signature : Terrain d’entente. Ils vaporisaient alors la poudre de la comédie romantique sur leur science imparable de la comédie. Le film n’a pas sensiblement mieux marché que les autres, mais il annonce Les Femmes de ses rêves en cela que la fratrie, pour retrouver les sommets du box-office, a visiblement décidé de poursuivre dans cette voie plus conventionnelle : terminés les pitchs délirants, repli sur la valeur sûre de la comédie romantique et sur l’abattage d’une star comique, retour à la veine trash qui fit leur renommée, bien qu’elle ne fût jamais ce qu’il y a de plus puissant dans cette oeuvre.

Heureusement, a-t-on envie de dire, Les Femmes de ses rêves n’a pas plus marché que ça. Il faut dire que dans son sous-genre (une comédie romantique avec des gags dégueulasses dedans), le film est assez faible, et pénible parfois. Ben Stiller incarne un vendeur d’articles de sport qui se marie trop vite avec une fille apparemment parfaite, jolie, intelligente, rigolote. Tous deux partent en voyage de noces au Mexique, dans une station balnéaire pour Amerloques en vacances. Là, Stiller découvre qu’il a épousé une sorte de monstre, une créature brutale, soupe-au-lait, poisseuse et révulsante. Là, Stiller tombe aussi sur une autre fille, venue avec sa famille de rednecks bourrins. Une fille propre, douce, hygiénique, fûtée, garantie 100% bio.

Le film ressemble beaucoup au camp de vacances où se déroule l’action, et pas du tout à l’harmonie céleste qui imprégnait les meilleures oeuvres des Farrelly : souvent beauf, misogyne un peu, sans classe. Cette défaite se fait surtout sentir dans le destin du personnage de l’épouse qui, dès qu’elle révèle sa face repoussante et à mesure qu’elle devient personnage secondaire, en prend plein la gueule avant de se faire balancer du film comme un vulgaire sac. Or, on l’a très souvent dit, les Farrelly excellent dans le traitement des personnages de seconds plans, tous aimés, tous beaux jusque dans leurs aberrations. Déçoit également cette manière de renouer avec un abattage trash-dégueu qui s’effilochait pourtant de films en films, jusqu’à devenir un arrière-plan fantastique tapi sous la douceur éclatante et le merveilleux simplifié qui présidaient aux récits. Les cinéastes avaient mis au point un alambic affectif de haute précision qui permettait de rétribuer l’épanchement organique par une avalanche de volupté (et continuaient à leur manière cette antique histoire du burlesque où l’énergie demande, sinon à être canalisée, au moins à être recyclée en permanence, sous de multiples formes). Ici, le sale se donne pour lui-même, s’écoule en pure perte avant d’être battu en brèche par la figure lissée de la fille finalement aimée, et qui s’avère parfaitement hygiénique.

Il faut sans doute sauver de ce petit naufrage la scène où Ben Stiller se mue en wetback pour traverser la frontière américano-mexicaine et venir parler, épuisé et le cheveu en pétard, au pied du lit de la fille de ses rêves. Maigre éclaircie dans un ciel alourdi par des vieux trucs de comédies ringardes où, encore une fois, on ne retrouve pas la majesté héroïque et l’intimisme onctueux des meilleurs films de la fratrie. Rendez-nous nos princes.