Les Fantômes de Louba commence comme une chronique adolescente, sous le signe d’une double frustration : celle de ne pas avoir de famille (au moment où commence le film, Louba a treize ans, sa mère est morte et elle ne connaît pas son père), et de ne pas être « comme les autres ». Les autres, c’est surtout Jeannie, la jeune fille sexuée et libérée placée dans la même famille d’adoption de Louba, et qui fera tout pour la priver d’un grand amour avec le Rimbaud du village. Par ailleurs, la jeune héroïne, inhibée, parvient mal à se défaire de ses « fantômes » : les visages de ses ancêtres déportés et massacrés, dont elle collectionne les photographies comme des reliques. Vingt ans plus tard, Louba est une jeune femme passive, asociale, une étrangère dans son pays, qui, à la faveur des circonstances, s’immisce dans la vie de son ancienne rivale, devenue une bourgeoise dépressive.

Sur le papier, le sujet du film de Martine Dugowson pouvait sembler fécond, restituant le problème de la « judéité » française sur un terrain sociologique, comme un héritage difficile à porter et non plus sur celui de la culture, de la religion -voire du simple folklore. Hélas, si ces problèmes figurent dans le film, aucune forme dramatique digne de ce nom ne permet de les traiter. L’écriture, encombrée par des relents autobiographiques mal camouflés, ne trouve jamais le ton juste, n’atteint aucune vérité. Des situations en apparence bonnes, porteuses d’un certain suspense sentimental, semblent ici des trouvailles stériles imaginées par un débutant trop soucieux d’originalité pour être original. Louba, personnage fourre-tout, cumule des problèmes qui ne renvoient à rien d’autre qu’aux préoccupations de l’auteur. C’est un peu la version féminine, dangereusement anachronique, du « juif errant », mêlée à un obscur complexe sexuel. Les références littéraires -un livre de Philip Roth dans le champ, un passage d’Elie Wiesel lu par l’héroïne- sont surtout affaire de décoration, et n’agissent jamais comme commentaires, même virtuels.

Quant aux acteurs, ils semblent eux-mêmes assez désemparés devant tant d’inepties : Elsa Zylberstein se contente d’être filmée et fait le reste en voix off, Camille Japy demeure constamment hors du personnage et c’est tant mieux, vu la platitude de son rôle. Le style visuel du film est tout aussi indigent, la réalisatrice n’ayant rien trouvé d’autre, pour exprimer le rapport de Louba au passé et à son histoire, qu’un passage de la couleur au noir et blanc. Procédé à l’image du film, qui refuse naïvement l’obstacle et va toujours au plus facile.