Il y a plusieurs fois la France dans Les Enfants de la nuit. Il y a la France vieille, celle du cinéma brocanteur et pantouflard, penché sur les temps anciens (ici, l’Occupation) avec des airs de compassion, c’est-à-dire s’émouvant de loin, ne s’impliquant pas au-delà des décors, s’incarnant un peu, reconstituant surtout. Il y a la France jeune, celle du cinéma d’auteur poussé par la Nouvelle Vague, poussé par Truffaut et tiré par Garrel ; mais s’éclatant aux brise-lames d’une politesse obséquieuse envers les modèles, adulatrice jusqu’à la caricature, jusqu’à l’exercice d’école (noir et blanc, voix off monocorde, trajectoires en vélo, deux ou trois plans de nuque) ; pire encore, changeant les audaces en excès de zèle involontairement comiques (l’incroyable dernier plan, par exemple, avec ses mouvements giratoires ascendants et oscillations latérales). Il y a enfin la France tout court, c’est-à-dire la somme des deux, le total des traditions, cinéma dramatiquement enraciné, territorial, cimenté dans ses conventions.

Mais ce qui frappe d’abord, donc, c’est un hiatus entre le format court et l’ambition visant à tasser, dans l’étroitesse de ces 26 minutes, la reconstitution d’un climat, d’un air du temps, de moeurs rurales en temps de guerre. A les bourrer aux maximum de ce printemps 44, à faire rentrer non seulement le drame mais aussi le style, les costumes, les senteurs printanières, etc. Or parler de la France occupée dans une fiction de 26 minutes met tant soit peu ce laps de temps en état d’urgence. Enfermée dans 26 minutes, la guerre est un feu, un incendie : on veut en voir sortir d’abord, et précisément dans le cas de ce film-là (et dans ce qu’il ambitionne de raconter au fond : l’histoire d’amour entre un soldat allemand et une Française), des corps vivants, de la chair battante, des personnages. On laisse brûler les meubles et les bibelots, on sauve l’essentiel.

Mais au lieu de l’amour dont le film est censé parler (et dont ne verra, d’ailleurs, qu’une carte postale, une image d’Epinal – un objet, donc) passent devant nos yeux un vieux vélo, des tabliers de ménagère, un jupon à carreaux, une paire de bretelles, une TSF jouant des chansons d’époque, une Traction du maquis, des collections de bérets, une vareuse allemande. Le problème n’est pas tant que le film perde son énergie en reconstitutions, c’est surtout que son sujet, à savoir l’histoire d’une future femme tondue, se soit retrouvé pris dans la toile de fond avec le reste. Tout cela entraînant, mais c’était à prévoir, de sérieux problèmes de montage et de progression dramatique – celle-ci étant artificiellement maintenue par une alliance crapuleuse entre voix-off et musique, toutes les deux insupportables.

Mais au fond, pourquoi ces précisions ? Pourquoi insister ? Parce qu’il y a de quoi s’interroger, vraiment, sur l’occulte météo faisant que ce genre de films nous parvient en salles, alors que tant d’autres courts métrages, parfois sublimes, restent en suspension dans les festivals. Et que d’autres encore, tout aussi académiques et nuls, n’en bougent pas non plus. Mystère.