Y a-t-il encore beaucoup à dire sur Benoît Poelvoorde ? De film en film (et ils sont rarement bons), persiste l’évidence que ses personnages n’ont la plupart du temps que faire de leur histoire, que Ghislain Lambert comme l’ersatz de Podium sont toujours, d’emblée, un peu plus ou un peu moins que ce qu’exigent les scènes. Solitude du pitre qui, si elle intéresse sur le principe, peut agacer aussi tant elle donne l’impression d’aller de pair avec une forme d’égoïsme, un jeu trop perso qui épuise les situations qu’il est supposé partager. De ce point de vue, Les Emotifs anonymes est le film d’une certaine surprise, le duo « amoureux » formé par Carré et Poolvoorde fonctionnant principalement sur la juste mesure, par Jean-Pierre Améris, de leurs mécanismes respectifs. Elle, plus émerveillée que jamais, réendosse après le Refuge d’Ozon le costume juvénile qui lui colle à la peau depuis ses débuts, mais ici avec une gourmandise évoquant parfois la Sabine Azéma des grands jours. Jouant une trentenaire inapte à assumer son talent de chocolatière, elle est située d’emblée comme une fragile poupée blonde qui n’espère rien d’autre que de trouver sa scène, le cadre le plus susceptible d’accueillir sa discrétion.

Lui, fidèle à un fatalisme sans motif (il ne peut pas, c’est tout), amuse en même temps qu’il met mal à l’aise, dessinant d’emblée une inaptitude aux élans, à la chaleur humaine, qui ne demande qu’à être malmenée (voir les petits défis lancés par son psy sur le terrain du savoir-vivre. La mignonnerie de l’une associée à la rectitude de l’autre donnent lieu, dans quelques scènes plutôt bien écrites et mises en scène, à une réelle efficacité comique, une évidence burlesque sans emphase. La grande idée de Jean-Pierre Améris est au fond de partir d’un canevas de comédie sentimentale on ne peut plus classique (Elle et Lui, les antagonismes, les efforts nécessaires à chacun pour envisager un happy-end amoureux) pour suspendre chaque résolution, chaque avancée au profit d’un projet plus humble et mélancolique : s’aimer suffisamment soi-même pour amorcer un projet commun. D’une certaine manière, on n’est pas si loin du Resnais dernière manière, pour ce souci de faire des personnages des figures obstinément solitaires, cachant sous leur fantaisie une dimension plus obscure et pathologique – Les Emotifs anonymes est une comédie d’autant plus drôle qu’elle prend appui sur des ressorts infiniment pathétiques au fond. Si ces deux là finissent bien par franchir le pas, rien jamais n’indique qu’il faille y voir le début d’une nouvelle vie, l’accomplissement du moindre bonheur. Seulement la garantie que, dans leur insécurité même, personnages comme acteurs se sont cette fois plutôt bien trouvés.