Depuis Gladiator (2000), Ridley Scott a retrouvé à Hollywood la place qu’il occupait au coeur des années 80 : celle d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens, volontiers opportuniste et pataud sur le fond (la morale poisseuse du néanmoins sublime La Chute du faucon noir), inégalable dans le domaine d’un maniérisme visuel high class dont il est aujourd’hui, avec Michael Mann, le maître absolu. Avec ces Associés, projet ludique et ouvertement superficiel, le cinéaste réalise une comédie qui apparaît à la fois comme une parenthèse et un coup d’arrêt relatif dans son oeuvre récente : une excellent occasion, finalement, de voir où en est Ridley Scott aujourd’hui.

Film d’arnaques en série sur le mode du récent Arrête-moi si tu peux de Spielberg, mais en version « buddy movie » (le duo Nicolas Cage / Sam Rockwell), Les Associés oscille entre le pire et le meilleur. Le pire : une intrigue en apparence jouissive (deux escrocs de génie enchaînent les tours de passe-passe avant que l’un des compères ne trouve sa fille sur son chemin) qui se transforme peu à peu en gros moka mou et glucidineux. La dernière partie, où tout devrait exploser en feu d’artifice (souvenons-nous, dans le domaine, du finish hallucinant de Thomas Crown de McTiernan), est proprement insupportable et annihile toute la charge de légèreté et de roublardise inhérente au genre. Voir Nicolas Cage, virevoltant d’un bout à l’autre du film, transformé en vendeur de moquette repu et bedonnant : tel est l’horizon, absolument pas ironique de l’indécrottable morale scottienne.

Le meilleur, maintenant : une idée, une seule (Nicolas Cage victime de tics et de tocs en tous genres), dans laquelle s’engouffre toute la réalisation du film. Ce détail est l’occasion pour Scott de jouer à outrance sur ce qu’il sait faire de mieux : multiplier les effets, les truquages et les contorsions de mise en scène. Agoraphobe et maniaque de propreté, Cage panique à la moindre miette de pain posée sur son parquet. La réalisation du film suit, et se détraque à la moindre occasion. En une sorte de maniérisme diffracté, convulsif et burlesque, l’esthétique des Associés est un modèle de précision et de maîtrise, confinant au vertige lors des scènes où le héros panique à l’air libre ou devant un parterre de beaufs endimanchés (la scène du supermarché, époustouflante). Trivial et sophistiqué, hilarant et irritant, le génie visuel de Scott est dans le film tout à fait à la mesure de sa situation actuelle : comme un géant posé sur un fil -se souvenir de la scène finale hallucinante et grotesque d’Hannibal. Mais un fil qui n’a pas, depuis longtemps, semblé si près de rompre.