Les Amants du Nil, c’est le versant à peine cinématographique d’un genre-phare de la fiction télévisuelle dans la grande tradition « qualité française », un mélange sournois de Bicyclette bleue à la sauce Château des oliviers. Anne (Emma de Caunes), une jeune peintre solitaire, fragile et rêveuse, plonge dans les abîmes d’une passion torride et fantasmatique. Dans un voyage imaginaire sur les rives du Nil, elle rencontre Samuel, un soldat français qu’elle avait auparavant retrouvé mort au cœur d’un paysage qu’elle était en train de peindre.

Avec cette trame de roman de gare, le film de Heumann usine les poncifs les plus éculés du genre. Même pas sympathique dans sa naïveté (on est proche de l’univers d’un Tintin féminisé), Les Amants du Nil s’embourbe dans un académisme pompier, un esprit de sérieux totalement obscène, une sorte de bouillasse fleur bleue rancie comme un épisode des Misérables sur TF1. Le rythme insipide, la fadeur des décors évoquent un imaginaire d’une pauvreté océanique. Emma de Caunes change de chapeau à chaque plan tandis qu’une poignée de personnages humains comme des troncs d’arbre (la tante au mauvais goût pseudo-truculent, le bellâtre mou, les méchants Arabes qui complotent dans l’ombre sur fond de langage ésotérique) atteignent en qualités d’interprétation des altitudes insoupçonnables de nullité rassasiée.

L’onirisme, ici, c’est un décorum triste et sec, une surface infinie de plans flamboyants assemblés comme des stèles mortuaires dans un cimetière de banlieue. Ce qu’il y a de si mortifère dans une telle daube n’est ni l’enjeu du film (une bluette comme mille autre, mais aussi une tentative de divertissement populaire), ni même la simplicité de ses effets, mais plutôt ce qui la mobilise de bout en bout : la complaisance hautaine, le devoir de mesure, le refus d’une quelconque tentative d’évasion ou de mise en danger qui permettrait à l’ensemble de décoller au delà du style « croûte de cinéma de l’entre-deux guerre ». Plombé dans son réalisme poétique sous Prozac, sa façon méprisante de proposer une qualité de surface (entre fausse grandeur à la Tavernier et inspiration lyrique à la Christian Jacques), Les Amants du Nil n’est rien moins qu’une injure à l’idée même de  » cinéma populaire  » : un simulacre de peinture vieillotte et désincarnée, une version préhistorique du Syndrome de Stendhal revu et corrigé par les bonnes manières d’une petite-bourgeoisie même pas digne du cinéma dévitalisé d’un Claude Berri.