Vu la relative bonne surprise qu’était Au fond des bois, on espérait du Jacquot nouveau une qualité au moins supérieure à Villa Amalia, à ce jour son ratage terminal. De justesse, Les Adieux à la reine échappe bien au désastre, sans pour autant satisfaire tout à fait ces sobres espoirs. Car, s’il ne trahit jamais l’évident talent de filmeur du cinéaste, le film au final n’offre pas beaucoup plus que ça – images léchées, extrême (et à la longue excessive) clarté du trait, de l’écriture, juste mesure de chaque syncope ou redressement. Fidèle à la manière de l’auteur du beau Septième ciel, cet opus, qui n’est pas son premier film historique, est ainsi, à l’échelle de Jacquot, un produit grand luxe se laissant voir sans ennui, honnête mais jamais surprenant.

On comprend vite que la prise de la Bastille tiendra davantage lieu de rumeur que de scène, et que le film entier va se déplier depuis le point de vue de Sidonie Laborde (Léa Seydoux), lectrice privilégiée de Marie-Antoinette (Diane Kruger). Comme à peu près toutes les héroïnes du cinéma de Jacquot, la jeune femme, en même temps que la caméra la suit, l’observe, reluque son impressionnant décolleté, est dès l’entame introduite comme principal support de la mise en scène. Les Adieux à la reine se veut très clairement le film de cette spectatrice, tout entier au service de cette petite souris qui se tient aux premières loges, moins de l’Histoire, que des affaires de cœur de sa Majesté. Le problème est que le film ne parvient jamais à faire de son personnage-support davantage qu’une machine à voir. La cour, le peuple qui gronde, les passions à peine secrètes de Madame, apparaissent ainsi au fur et à mesure comme les vagues animations d’une visite guidée du château de Versailles aux alentours du 14 juillet 1789. Cette dimension foraine, flottante, glissante, est – pour reprendre le mot de Louis XVI auquel Xavier Beauvois prête assez idéalement ses traits – à la fois la force et la malédiction du film.

Car si la visite est plaisante, elle laisse espérer, en vain, quelques bifurcations. Profondément travaillé par la question de l’inconscient, du trouble voisinage entre veille et sommeil, libre arbitre et sujétion, réel et fantasme, Jacquot use de l’ellipse comme peu d’autres, tel fondu au noir laissant entendre que ce que l’héroïne semblait vivre peut tout aussi bien être le fruit d’un manque de discernement (« T’as du encore rêver ! », se moquent ses camarades, lorsqu’elle affirme que la Reine est en partance pour Lille). Mais comme le reste, cet entre-deux n’excèdera pas le simple effet de signature, ne travaillant jamais au corps ni la séquence ni le personnage. Un peu d’obscurité dans le plan, certes, mais aucun gouffre dans un récit qui privilégie maladivement la ligne claire, la surface – aucune image dans le tapis.

Un mot du trio de choc annoncé par le casting. Si Diane Kruger incarne une Marie-Antoinette plus terrienne que la queen pop de Coppola fille, l’une des rares surprises du film est de faire de Virginie Ledoyen un personnage tout à fait secondaire, évanescent, presque anecdotique. Parti-pris intéressant que de faire ainsi de la femme aimée par la Reine un corps, un visage, une voix quasi « absents » du récit, et de ses quelques apparitions l’occasion d’un érotisme fuyant, un peu sournois. Mais c’est bien Léa Seydoux qui s’impose avec le plus d’élégance. De ce jeu où cohabitent de manière indécidable entrain et mélancolie, de ce regard plein en même temps d’insolence et de réserve, Les Adieux à la reine ne parvient jamais, malgré son insistance, à épuiser le secret. C’est sans doute la principale richesse d’un film sans grande envergure, clairement en deçà de ses ambitions.