Voici donc le phénomène dont le public américain n’a pas démordu pendant cinq semaines consécutives, temps passé par Le Sixième Sens en tête du box-office. Ce qui le place mine de rien parmi les plus grands succès de tous les temps (juste devant Les Dents de la mer). Ce succès, M. Night Shyamalan le doit à l’originalité de son scénario, à ses trouvailles de cinéaste et aux pontes de Hollywood qui ont eu le nez de lui faire confiance.

Malcolm Crow (Bruce Willis) est un psychologue pour enfants de renom exerçant à Philadelphie. Un soir, alors qu’il est justement en train de fêter en compagnie de sa femme (Olivia Williams) une distinction venant de lui être décernée, il s’aperçoit de la présence dans sa salle de bain d’un inconnu, un jeune homme grelottant et terrifié, qui dit être un de ses anciens patients. Il a à peine le temps de retrouver son nom que l’homme fait feu sur lui, avant de se donner la mort. Quelque temps plus tard, on comprend que Malcolm, à la suite de cet incident, a cessé d’exercer. Mais il est fasciné par le cas de Cole Sear (Haley Joel Osment, talentueux débutant) un garçon d’une dizaine d’années qui vit avec sa mère (Toni Collette). Cole est un enfant chétif que ses camarades d’école taxent de freak, doué pour son malheur d’étranges pouvoirs qui le rendent extralucide, en proie à des visions effrayantes. Entre l’enfant et le psy s’instaure une relation privilégiée.

La grande force du Sixième Sens réside dans le mélange insolite et savant de genres et de sentiments. Le spectacle du surnaturel, dans lequel baigne toute l’intrigue, n’est pas une entrave au développement dramatique que privilégie le scénario. Malcolm croit pouvoir se racheter et aider Cole, qui présente les mêmes symptômes que son ancien patient. Obsédé par les troubles du garçon, il néglige sa femme, tandis que l’enfant refuse de faire part de son secret à sa mère, ne confiant ses visions qu’au psychologue. Ca paraît banal comme argument. Il faut voir le film pour comprendre que ça ne l’est pas. Rien ici du cortège d’effets qu’évoquait ce thème fantastique, rappelant vaguement celui de Shining. L’horreur est un drame, une névrose, et bien que l’hallucination soit une vue de l’esprit, elle n’en a pas moins la force et l’évidence d’un phénomène objectif. Mais si Le Sixième Sens a le bon goût de ne pas prétendre redécouvrir la vraie nature de l’invisible (qui, on le savait déjà, n’est pas moins réel que le visible), c’est que Night Shyamalan peut s’en remettre, confiant, à la force de son sujet qui contient en lui-même d’étranges prolongements. Peu d’artifices dans cette mise en scène sage et maîtrisée, qui réserve quelques très beaux moments de frayeur : la naturalité des apparitions, habitant un espace concret, fait inévitablement porter le doute sur le degré de réalité dans lequel est situé l’histoire. L’obsession macabre, prétexte ordinaire du film d’horreur, est moins un objet d’exploitation visuelle et de montage que d’un regard lucide et compatissant, presque thérapeutique.

Etrange objet que cette production luxueuse qui bénéficie de la présence (pas forcément miracle, on le sait) d’un aussi gros cachet en tête d’affiche et d’un inconnu derrière la caméra, qui plus est créateur à part entière de son film. On admire les évidentes qualités du Sixième Sens sans savoir si l’on est simplement en présence d’un grand sujet, traité de façon neuve dans une ambiance bien particulière, ou si nous est révélé un univers véritablement original. Qu’importe, il est vrai, puisque ça fonctionne. Néanmoins, on peut déplorer que cette histoire forte, filmée avec talent, et dont l’inquiétude sous-jacente nous trouble et nous séduit, soit enduite de cette « laque » hollywoodienne qui abâtardit toujours quelque peu les formes (comme la musique de James Newton Howard et l’affiche, à laquelle il ne faut surtout pas se fier). Le film aurait supporté un peu moins de brillant et une production moins soignée qui lui ôte une partie de son cachet. Certes, on chipote un peu, et il serait injuste de dire que Le Sixième Sens n’est pas le grand film qu’il aurait pu être. Original et captivant, il est tout simplement unique en son genre. C’est déjà énorme, et l’on voit mal, effectivement, quelles seraient les raisons de ne pas se laisser surprendre par cette œuvre inclassable et prometteuse.