Tremblement de Terre à Cannes 2008 : les Dardenne n’ont pas eu de Palme mais un Prix du scénario tout riquiqui. La misère pour les deux frères, mais au fond un titre assez juste et symbolique : Le Silence de Lorna est en effet un film qui amorce un léger virage dans le style hyper défini des cinéastes, une manière de se poser et de regarder qui rompt avec les pures fabriques d’énergie auxquelles la fratrie nous avait habitué depuis La Promesse. L’énergie est bien là mais contenue tout entière dans l’intériorité silencieuse et forcenée du personnage de Lorna, une jeune Albanaise prise dans un étau hitchcockien : alors qu’elle a contracté un mariage blanc avec un junkie, la jeune femme tombe amoureuse de celui qu’elle doit contribuer à assassiner par overdose, sous les ordres de la mafia russe. Sous l’angoisse dardennienne habituelle (le crime comme produit monstrueux d’une certaine misère sociale, le bouleversement intérieur qui s’opère lentement dans le for intérieur de l’héroïne) se dévoile une mécanique assez nouvelle : plus écrit et plus posé, le film exténue toutes les hypothèses posées par sa situation de départ (extraordinaire moments de doute et d’hésitation, formidable jeu de ruptures et de relances) pour revenir peu à peu dans les rails des précédents films.

La dernière partie, qui entre littéralement dans l’intériorité de Lorna (le McGuffin du bébé réel ou imaginaire), reprend les mécanismes habituels de dépense à corps perdu de Rosetta ou du Fils. Mais si le style des cinéastes y retrouve ses points de repères, c’est étrangement aussi le moment le plus déceptif du film, par trop attendu et qui rompt avec le principe de narration assez complexe des deux premiers tiers. C’est aussi le moment où la comédienne Arta Dobroshi, prodigieuse jusqu’ici, inattendue à l’extrême et capable de porter le film sur ses épaules, rentre absolument dans le moule du cinéma Dardenne (la voix intérieure qui évoque Rosetta). Au point de maturité atteint par l’oeuvre, c’est au fond une assez bonne nouvelle. Les Dardenne ont remis leur style à plat et pris un drôle de chemin de traverse pour arriver exactement là où on les attend. L’inverse aurait été le signe d’une complète remise en cause et d’une rupture radicale. En l’état, c’est juste la confirmation d’une santé éclatante et de cette faculté qui n’appartient qu’aux meilleurs : refaire toujours le même film sans jamais donner l’impression de faire du sur-place.