Le fait est acquis : Dario Argento ne sera plus jamais Dario Argento. Depuis sa longue descente dans l’abyme d’une médiocrité oscillant entre auto-parodie et grotesque absolu -d’Opéra au Fantôme de l’opéra-, l’inestimable auteur de Suspiria n’en finit plus de laisser croire, le temps d’une séquence, que son talent est intact, avant de se ramasser dans une indigence esthétique à peine digne d’un bon faiseur de séries B en toc.

La récente récupération du phénomène Argento s’est par ailleurs accompagnée d’un revirement dans l’esprit même de ses films : faire auteur coûte que coûte, comme dans Le Syndrome de Stendhal, où l’absolue absence de style se dissimule derrière un discours faussement expérimental (passer derrière le miroir avec de gros sabots). Surtout, le cinéma d’Argento est, depuis quelques temps, un squelette de ce qu’il fut dans les années 70 : terrain sec et aride, d’un réalisme édifiant, où la sublime grandiloquence de ses premiers films se mue en une violence aigre, barbare et coupante.

Avec Le Sang des innocents, il semble qu’un équilibre soit enfin trouvé entre vraie envie de revenir à la source de l’oeuvre d’Argento (le giallo, polar baroque dont il fut le maître dans les années 70) et acceptation des limites que lui impose son statut de pré-retraité confortablement installé dans sa carrière. Ce qui touche ici est la façon dont Argento semble s’amuser de ces limites, jouant avec les citations de ses propres films (une par séquence, en gros) tout en gardant une foi très sincère dans leur pouvoir de fascination.

Le Sang des innocents multiplie les bourdes scénaristiques et formelles (on se croirait parfois dans un mauvais épisode de Derrick) mais possède en lui un flux tendu qui permet au film de se laisser voir à la manière d’une promenade tranquille dans les soubassements de l’œuvre d’Argento. Les meurtres sont souvent elliptiques et ce qui intéresse le cinéaste semble plus de les resituer dans un contexte disparu : suspense plaisant n’ayant de valeur que pour lui-même, refusant enfin toute visée haute (Le Syndrome de Stendhal) pour redonner au giallo son sens premier de roman-photo basique et primal.

On pourra reprocher au film son réalisme barbare dissimulant un véritable tarissement artistique, son refus absolu de tout instant de grâce, mais c’est dans cette apparente pauvreté que naissent les vrais moments réussis du film : poursuite hallucinante dans les rames d’un train désert lancé dans la nuit ou, un peu plus loin, meurtre fou d’une ballerine décapitée en moins de deux plans (dont un travelling interminable sur une broderie, confinant à l’hypnose). Ces instants sont les plus beaux qu’Argento ait livré depuis longtemps : probablement parce que, pour la première fois depuis au moins 10 ans, celui-ci a enfin compris que sa grandeur, de toute façon, est derrière lui.