Faible, la production des pays du Maghreb, si faible qu’on en attendrait presque plus rien. Et pourtant, chaque année, deux ou trois films nous parviennent, témoins héroïques d’une certaine résistance à la lente désertification des cinématographies d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. Le Prince est de ceux-là. Comme Mille mois et Les Yeux secs il y a deux ans, ou Khorma, le crieur de nouvelles et Poupées d’argile l’année dernière : des films de combattants s’inscrivant dans une tradition classique de la fiction telle qu’elle existe depuis des lustres au Maghreb (politique ou sociale) sans jamais tomber dans ses écueils (politiciens ou sociologiques).

Adel, un modeste fleuriste, tombe amoureux d’une banquière inaccessible. Pour la revoir chaque matin, il prétexte la livraison quotidienne d’un bouquet de fleurs dont il est l’expéditeur secret. Bien vite, le manège tourne à l’obsession, entraînant des problèmes au travail et dans la famille d’Adel… Le film de Mohamed Zran trouve sa réussite dans sa façon d’inverser les enjeux de la chronique sociale, d’un côté, et de la fable de l’autre. La chronique des jours d’un modeste employé se trouve constamment enchantée au prix de subterfuges malicieux (la livraison chaque jour des fleurs, avec la question de savoir jusqu’où le stratagème va fonctionner) et d’une fantaisie qui doit tout à la finesse et à l’élégance de la mise en scène et des dialogues. A l’inverse, l’aspect conte de fées trop évident qui se joue dans l’amour d’Adel pour une riche inconnue à la grâce de princesse ne vire jamais au surréalisme loukoum attendu : toujours, Zran en revient à un réalisme psychologique extrêmement fin et percutant, loin de toute facilité d’habile décoriste (la scène extraordinaire de premier rendez-vous au restaurant).

Il y a là une maîtrise, une beauté magicienne dans la réalisation qui agissent comme un souffle sur une fiction somme toute assez classique. La preuve que le renouveau d’une cinématographie aussi éteinte que celle de la Tunisie ne passe pas forcément par la radicalité (il faudrait pour cela voir le beau La Danse du vent de Taïeb Louhichi), mais aussi par le redéploiement de ressources un peu oubliées du cinéma populaire : grâce du mouvement, légèreté de surface, croyance en une puissance simple des éternels tours de passe-passe du cinéma (ici un petit frottement d’images, là un croisement de mots qui enchantent une scène de pure mélancolie). Le Prince est un film aérien et musical qui s’ancre cependant dans la pesanteur du réel et de la vie. Un beau film.