Et c’est reparti pour les nouvelles aventures de François Pignon, l’éternel dindon des farces de Francis Veber ! Au fait, qui est-il ce héros aux multiples visages, du Pierre Richard de La Chèvre au Villeret du Dîner de cons ? L’homme dans la foule, le héros ordinaire qui malgré tout se distingue par quelque tare : la malchance, la bêtise, la maladresse. Il est aussi le clown triste qui, malgré lui, à la faveur de circonstances défavorables, attire tous les regards. Daniel Auteuil renoue donc avec la comédie et endosse le fameux patronyme pour entrer dans la peau d’un comptable discret, travaillant sous les ordres de Michèle Laroque dans une entreprise de latex. Pignon, ignoré de tous au bureau, toujours amoureux de son ex-femme, ennuyeux même aux yeux de son propre fils, mène une vie bien terne. Pour couronner le tout, il apprend que son patron (Jean Rochefort) est sur le point de le licencier. Avec l’aide de son voisin (Michel Aumont, admirable dans le rôle du complice), il va répandre le bruit qu’il est homosexuel, et que son licenciement est abusif. Mais les conséquences de son mensonge dépassent toutes ses espérances.

Le sujet du Placard, comme son casting (à la papa, d’accord, mais sans faute de goût), laissait craindre le pire. Une comédie balourde où l’écriture serait asservie aux acteurs, chacun se livrant au numéro attendu sans souci de ses partenaires. C’était compter sans le métier de Francis Veber, grâce auquel ces principaux écueils sont savamment évités. Non seulement les acteurs sont meilleurs qu’on ne les a jamais vus et jouent le jeu avec un plaisir communicatif (même Depardieu redevient un comédien comme les autres), mais ils sont fermement tenus au service d’une écriture cinématographique de grande qualité. Tandis que Le Dîner de cons se contentait d’une transposition paresseuse et sans inventivité d’une pièce de boulevard, le comique du Placard repose sur des procédés propres au cinéma, et d’abord une grande maîtrise formelle : mise en scène parfaitement coordonnée, découpage précis et judicieux, impeccable photo de Luciano Tovoli (chef-op de Ferreri, Pialat et Dario Argento). Par ailleurs, Veber parvient à dépasser les recettes galvaudées et les ficelles comiques -y compris les siennes- en portant une attention sincère à ses personnages, veillant à adopter une construction dramatique ouverte, aussi logique qu’inattendue. A l’heure des comédies bâclées soi-disant dans l’air du temps dont nous abreuve le cinéma français, Le Placard est une leçon de fantaisie et de rigueur.