Peu importe que le roman soit réputé inadaptable. Ce n’est en général qu’un argument publicitaire, qu’on nous ressort à chaque adaptation de roman célèbre, alors que tout est adaptable dans l’absolu, si tant est que le verbe adapter ait un sens. Peu importe la légende disant que Süskind n’accepterait de voir Le Parfum porté à l’écran qu’à la condition expresse que Kubrick en soit le metteur en scène. Foirage luxueux, mais foirage quand même, l’adaptation par l’Allemand Tom Tykwer. Son Parfum à lui est de ces films « européens » lancés à la conquête des Oscars et surtout des European film awards. Un film européen, aujourd’hui, qu’est-ce que ça veut dire ? Pour l’essentiel, un plan de financement : Paris, Madrid, Berlin, pour ce coup-là. Ça veut dire souvent un film qui raconte ce plan de financement. Ici, un film réalisé par un Allemand d’après un roman allemand, tourné dans les studios et paysages des différents pays producteurs, parlé en anglais par des acteurs grands-bretons pour la plupart, accompagnés d’une vedette américaine (Dustin Hoffman). Les European film awards ont été créés pour célébrer ce cinéma bâtard, sans identité (d’ailleurs, qui s’y intéresse ?). Le Parfum a toutes ses chances.

Ce n’est pas un film méchant, ennemi, juste un cas typique d’adaptation littéraire ratée. Non que les moyens manquent, donc. Non que Tykwer ait commis quelque crime littéraire vis-à-vis du roman, et quand bien même. S’il parvient à peu près à condenser le foisonnant flot narratif du bouquin de Süskind (en coupant des pans entiers du récit, il réussit tant bien que mal à rester infidèlement fidèle au livre et à fabriquer une histoire qui tient la route), en revanche quelque chose ne fonctionne pas, et c’est plus important : de la même manière que le film récite son montage financier, il ne fait que raconter sa conception, et le labeur visiblement énorme de la tâche. Chiadé sans doute, Le Parfum ne parvient pas à cacher son metteur en scène, lequel est de tous les plans. Pas une image qui n’ait de vie propre : on sent comment elle a été pensée, élaborée, comment elle a été abordée comme un problème à résoudre -attraper à bras le corps les morceaux de bravoure de la narration, trouver un équivalent à l’odorama mis en place par Süskind, etc. Tout est problème, tout est question ici, rien ne coule et la fluidité du roman se fraye un impossible chemin parmi une enfilade de scènes lourdes et besogneuses.