On aurait aimé défendre Le Pacte des loups. Et cela non pas dans le respect d’une quelconque politique des auteurs fondée sur une filmographie exemplaire. Car on ne peut pas dire que le premier long métrage de Christophe Gans ait particulièrement hanté les mémoires cinéphiles. Piètre adaptation d’un manga culte, Crying freeman n’était en effet guère plus passionnant qu’un mauvais film de vidéoclub. Accumulant des ralentis plutôt moches dans l’espoir d’insuffler un minimum de piquant formel au sein d’une intrigue embrouillée, Gans ne parvenait qu’à distiller un profond ennui. Le comble pour un film estampillé « action ». Alors, pourquoi porter tant d’intérêt à cette seconde aventure cinématographique ? Parce que Le Pacte des loups était un beau projet. Un projet qui promettait de réconcilier les spectateurs les plus exigeants avec un film français à grand spectacle. Un projet qui annonçait la résurrection d’un cinéma de genre érudit et cruel, impur et sophistiqué, un peu à la manière des meilleurs bandes de Mario Bava et Riccardo Freda, hérauts s’il en est d’une culture bis allègrement fréquentée par le sieur Gans. Enfin, un projet faisant fi des modèles dominants et s’amusant à mélanger de façon décomplexée des univers a priori antinomiques, notamment au niveau d’un casting hétéroclite confrontant entre autres la jeune garde du cinéma belge (Emilie « Rosetta » Dequenne, Jérémie Rénier) à un pur acteur de séries B (Mark Dacascos, déjà rôle-titre dans Crying freeman).

Que reste-t-il à l’écran de ces fort honorables intentions ? L’impression d’une gigantesque méprise. Amateur éclairé d’un certain cinéma populaire datant des années 60-70, Christophe Gans a pensé qu’il pouvait en recréer l’ambiance et le décorum. A partir d’une histoire réelle (celle de la Bête du Gévaudan) qui a aujourd’hui presque valeur de mythe, tisser un récit fantas(ma)tique qui renouerait avec la tradition du romanesque échevelé, du film à costumes épique, tout en conservant des liens très marqués avec tout un pan du cinéma contemporain via le film d’arts martiaux ou l’horreur graphique. Très bien. Sauf que Le Pacte des loups bénéficie de l’un des plus gros budgets jamais vu en France. Et que lorsque Gans impose derrière son couple romantique des chromos ultra cheap dignes d’un Angélique, les images « sonnent faux ». Primo, parce que lesdites séquences sont d’une maladresse et d’une mièvrerie, qui, elles, ne peuvent relever d’un choix conscient, d’une véritable intention artistique. Secundo, parce que les films-références du cinéaste baignaient dans une esthétique due au contexte de l’époque, à des techniques abandonnées qui, utilisées aujourd’hui, créent un anachronisme plastique en parfait décalage avec le reste du film. C’est d’ailleurs tout le problème du Pacte des loups : la suture tant désirée entre les multiples influences au travail n’opère que rarement. L’éclectisme de bon goût aboutit à un objet bâtard, parfois même ridicule.

Il y a pourtant quelques moments assez impressionnants dans le film, comme le premier combat qui oppose sous un ciel plombant et une pluie torrentielle les deux justiciers masqués (Dacascos et Le Bihan) à une bande de mercenaires grotesques. Virtuosité des gestes de Dacascos, étrangeté des costumes, découpage tout en bruit (des coups) et fureur (des visages). On pressent à cet instant ce à quoi Le Pacte des loups aspirait : un immense opéra de l’excès, un film abolissant toutes les frontières par la seule puissance de sa croyance dans le cinéma. En lieu et place, on assiste à une fresque historique flanquée de dialogues indigents, d’acteurs mal dirigés (avec, en première ligne, un improbable Le Bihan en héros peroxydé) et d’un son épuisant qui peine à compenser la faiblesse des images. Et si, malgré tout, l’on s’ennuie peu devant cette armada d’effets à efficacité variable, Le Pacte des loups demeure sans cesse en deçà de ce qu’il aurait dû être, tristement incapable de mener à bien son ambitieuse mission.