Adaptation de La Première éducation sentimentale de Flaubert, Toutes les nuits, le premier long métrage d’Eugène Green, avait posé les intentions d’un cinéaste venu du théâtre baroque et bien décidé, quitte à s’élancer à contre-courant du contemporain, à ne rien lâcher de ses désirs de mise en scène : frontalité et hiératisme, neutralisation de la voix et morcellement des corps. Le Monde vivant, récit picaresque minimaliste en forme de conte médiéval, poursuit sur un mode très ludique la réflexion sur quelques fondamentaux de l’expression cinématographique (l’incarnation, la parole, la croyance). Il s’agit avant tout d’une trajectoire, de la même manière que Toutes les nuits suivait l’itinéraire d’un trio de personnages sur une dizaine d’années. Le contexte médiéval, comme d’autres choses, n’a ici guère besoin d’être désigné par des signes extérieurs : c’est une affaire de consensus, à l’image de la situation théâtral. Les héros du Monde vivant ont beau être vêtus d’un jean et d’une chemise, ils n’en sont pas moins des chevaliers parcourant à pied une forêt magique, d’un château à l’autre, en quête de gloire et d’amour. Nicolas, un jeune candide parti de chez lui à la découverte du monde (le très beau plan d’un lit vide, et les parents en off constatant le départ du fils), rencontre au détour d’un sentier le chevalier au lion -lequel lion est un splendide berger des Pyrénées, mais là encore il suffit de se mettre d’accord sur la nature léonine du chien pour l’entendre rugir. Les deux vaillants coursiers s’allient dès lors pour combattre un ogre qui tient sous son joug son épouse (qu’aime le Chevalier au lion) et une captive (qu’aime Nicolas).

Le Monde vivant, lorgnant ouvertement du côté de l’utopie, tente à travers ce mini-roman chevaleresque souvent très drôle (la diction plus que parfaite ponctuée de subjonctifs imparfaits, de liaisons extrêmes et de « c’est super frais ! ») de goûter le pouvoir miraculeux de la parole. Il faut entendre la parole dans son double sens de langue et de promesse. Le miracle, ici la résurrection, relie le film à une dimension sacrée qu’Eugène Green s’emploie à attirer comme on chasse les papillons. Quelque chose comme la théologie négative de Maître Eckhart (cité par le cinéaste en exergue du film, presque paradoxalement, comme un contrepoint invisible) prise à contre-pied : si Dieu, pour le mystique rhénan, n’est accessible qu’à la condition de le dévêtir de tout nom et de toute détermination ontologique, le sacré selon le cinéaste doit être apostrophé. Un cinéma de croyance, donc, à l’image du court métrage présenté en complément de programme, Le Nom du feu, où un jeune homme affirme être un loup-garou et se transforme un soir de pleine lune, hors champ, sous les yeux d’un médecin qui ne le croyait pas. Dernier miracle : jamais le film ne se prend au sérieux malgré la solennité d’un tel programme, et l’aventure se termine par le « coucou » collectif des héros, au pied du pont-levis.