Alors que Bill Clinton apparaissait de manière morcelée dans les productions hollywoodiennes, George W. Bush est devenu un acteur à part entière, une source d’inspiration franche et massive. Depuis le début de son règne, on liste une quantité inchiffrable de produits militaristes de la frange républicaine d’Hollywood (SWAT, Les Larmes du soleil et autres bruckheimeries), une série télé qui parodie délibérément l’homme public, et, bien sûr, la consécration absolue des trash documentaristes dont Michael Moore s’affirme comme le leader interplanétaire.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Bush provoque la violence primaire, celle qui éclabousse frontalement dans un mélange de provocation et de rage extériorisée. Le Monde selon Bush s’ouvre de la même manière : brut de décoffrage, le tacle méchant et carnassier. En guise de pré-générique, on voit Norman Mailer, figure symbolique de la contestation des années 70, qualifier le fameux W de « pire président de toute l’Histoire des Etats Unis ». Tout un symbole du cinéma de William Karel. Le Monde selon Bush est évidemment pamphlétaire, mais surtout habité par un soucis d’exactitude journalistique sidérant (c’est le grand Mailer qui parle). Dégraissant le commentaire et les images de toutes tentatives passionnelles, cet ancien photographe s’en tient à une simple scénographie des faits. Le film n’est qu’un montage d’interviews cadrées à l’identique où chaque témoin remonte à la source de chaque zone sombre de la législature Bush : fascisme, manipulation, corruption et cynisme généralisé.

Ce procédé quasi kiarostamien agit comme un scanner tranquille. Passés au tamis de l’objectif (qui n’a jamais si bien porté son nom), les visages des faucons, les révélations des intellectuels ou journalistes prennent une intensité à la fois saine et complexe. On y lit autant l’horreur tranquille du raisonnement extrémiste des témoins, que le plaisir total de la quête d’information de Karel, qui ressuscite l’oralité en grand vecteur narratif. Car c’est bien l’Histoire que met en perspective le cinéaste, celle d’un homme influençable au-delà de ce qu’on imagine (grand-père Bush faisait du business avec Hitler), celle de populations entières victimes silencieuses d’une poignée de politiciens mégalos ou cyniques. Si William Karel préfère les dîners des puissants aux micro-trottoirs des Etats Unis, d’Israël et d’Irak, il n’en reste pas moins plus cinéaste et autant citoyen que Michael Moore.