New York après l’apocalypse, rues désertes, quelques papiers brûlés qui volettent dans des avenues devenues no man’s land. 2001 ? Non, 1959, et une drôle de rareté SF américaine, quelque part entre Le Survivant avec Charlton Heston et Paris qui dort de René Clair. Après Les Deux orphelines de Griffith et le cultissime Planète interdite, la toute jeune société de distribution Madadayo Films exhume cet étrange objet largement oublié, à la fois pur produit de la SF parano des fifties (tendance eschatologie nucléaire) et parabole étrange sur la question raciale américaine, plutôt fine et assez radicale pour l’époque. Un mineur noir (Harry Belafonte, connu pour son engagement pour les droits civiques) se retrouve coincé en sous-sol après un éboulement. Quand il parvient à se tirer, seul, des décombres, c’est pour découvrir que toute trace de vie humaine a disparu, emportée par une troisième guerre mondiale éclair puisque nucléaire.

Première partie en forme de robinsonnade : Belafonte déambule dans un New York désert, finit par se faire à l’idée, s’organise une vie solitaire sur les restes d’un monde éteint. Deuxième temps, et virage vers le film à thèse : découvrant qu’il n’est pas seul, il se lie avec une blanche WASP avant de réaliser que d’autres encore ont survécu. Le film allèche d’abord pour l’hypothèse n°1, finalement la moins stimulante. Les séquences dans NYC vidé impressionnent un temps pour le principe : prouesse logistique d’un filmage à l’aube qui est parvenu à faire s’éteindre The Big Apple une heure par jour pendant quelques semaines, et écho par anticipation de Vider Paris, le beau travail photographique du français Nicolas Moulin. Mais de cette belle idée, le film ne sait finalement trop que faire, et passé l’étonnement, on se barbe assez vite au spectacle de Belafonte traînant son petit chariot dans les rues mortes. Puis, on le disait, prenant la tangente politique, le film s’éclaire et remporte la mise sur le terrain qu’on attendait le moins. La robinsonnade et l’hypothèse deleuzienne qui la redouble (le fameux « monde sans autrui », à propos de Tournier) deviennent prétexte à questionner l’intériorisation de la ségrégation. Autrui est une structure, c’est entendu, mais parce qu’il se choisit un héros noir, le film précise : autrui est une structure de domination, et le stigmate intériorisé perdure quand la structure s’efface. La blanche s’entiche du dernier homme, fut-il noir de peau. Mais quand elle lui fait des avances répétées, Belafonte s’y refuse, prétextant que « les gens vont jaser ». Belle idée que le film déploie admirablement, recouvrant d’une narration élégante, tissée autour de cette proposition proto-bourdieusienne, le postulat SF qui finalement ne l’intéressait pas plus que ça. A voir.