Ancien favori cannois, Dominik Moll est l’auteur des peu stimulants mais respectés Harry, un ami qui vous veut du bien (2000) et Lemming (2005), deux études psychologiques, deux films cérébraux. L’adaptation du Moine de Lewis, brûlot gothique, roman de chair et de feu adulé par Sade et Artaud, se révèle donc un choix surprenant. Qu’importe, l’affiche promet du sérieux : titre en lettres de sang, gros plan sur le moine éponyme dont les yeux fous sont bordés de poches remplies, on le suppose, on l’espère, de fiel et d’appétence.

Au XVIIe siècle, le frère Ambrosio fascine les foules, surtout les femmes qui posent sur lui, pendant ses sermons, des regards moitié bigots moitié lascifs. Premier problème : Vincent Cassel, dans sa chaire, ne convainc pas, cherche ses marques entre ton péremptoire de curé et voix chantante de lovelace. Il révèle à nu, froidement, frontalement, l’erreur de casting du film. Effet comique assuré au moindre contrechamp sur les dévotes en extase (lesquelles, du coup, ont elles aussi l’air de mal jouer). A mesure qu’au long du récit les sermons se répètent, et que les fidèles semblent se forcer à admirer leur moine, l’analogie avec les spectateurs du film, qui se retiennent de rire, devient presque gênante. Si Le Moine de Moll, d’ailleurs, fonctionne quelque part, c’est bien dans l’exposition honnête et courageuse de sa médiocrité, dans le parfait équilibre de ses fautes : le jeu irrésolu de Cassel pourrait incarner le film même, dans son indécision esthétique entre tableaux de maître et entartage numérique (vues d’ensemble sur la petite ville, dignes d’un Vidocq cru 2001), entre somptueux contrastes de lumière et trucages hideux (la quincaillerie gothique est filmée à peu près comme dans The Crow, pour situer le niveau). Equilibre que Moll semble revendiquer au nom d’un pseudo-maniérisme faisant parfois penser, dans son côté fourre-tout, références au muet, recours aux vieux trucs, effets d’incrustations et surimpressions, au boursouflé Dracula de Coppola.

Et il faut dire qu’à l’apparition du personnage de Valerio, grand brûlé au visage entièrement recouvert d’un inquiétant masque de cire, et recueilli par le monastère, le film paraît un instant se relever, assez haut d’ailleurs, retrouvant un peu l’étrangeté fascinante d’un Feuillade ou d’un Franju, rappelant les Irma Vep, les Fantômas. Absente du roman, l’idée du grand brûlé, et du masque, serait magnifique si elle ne trahissait en bout de course l’incapacité profonde du cinéaste à filmer les démasquages, qu’ils soient propres ou figurés. Soit le moment où Valerio retire son masque devant Ambrosio et se révèle être une jeune fille très belle (Déborah François) amoureuse du capucin, entrée au monastère comme un cheval de Troie de l’amour : l’affaire ne suscite aucun trouble chez l’impassible moine, ni même, semble-t-il, chez l’inflexible Moll. Car sous couvert d’une soi-disant richesse symbolique et formelle, où l’inconscient trouverait à s’incarner (Sergi Lopez dans Harry, un mystérieux rongeur dans Lemming), chez Moll, c’est toujours la faute au voisin. Aucune réelle prise de risque : le sujet, au fond, se trouve toujours préservé du mal. Dans Le Moine, si Ambrosio finit par craquer, c’est à cause du Diable (Sergi Lopez, encore) et de l’intervention aberrante d’un vilain mille-pattes qui le pique dans sa paisible roseraie. Le moine vampirisé commence alors, pendant une forte fièvre, à désirer. Ou plutôt : à être tenté par. Mais le film continue de patauger dans une morne inaction puritaine où toute pulsion vraie, toute violence, toute corporalité est reléguée hors-champ, à tout le moins très vite évacuée.

Dans la préface à la traduction qu’il fit du roman, Artaud préconise de lire Le Moine pour sa façon de « libérer l’amour » et lui faire franchir toutes les barrières sociales, morales et religieuses, plus que pour son romantisme noir. Ce que Moll, avec son film, semble avoir voulu faire dans un premier temps, supprimant l’horreur et ne gardant que la « passion amoureuse », mais sans oser faire franchir à celle-ci, pour le coup, la moindre barrière ; sans oser la montrer vraiment, la faire sortir des coeurs, lui rendre un quelconque pouvoir de sidération. Malgré une tentative de distinction entre passions interdites et amours consensuels (scènes rudement drôles de la sérénade et de la promenade en barque), le consensus s’étend partout, jusque dans les crimes de chair et de sang du pauvre moine, bien peu frappants, contaminés par cette obsession du poncif et du masque dont Moll ne semble pas se défaire.

Il n’est que de revoir aujourd’hui Les Diables de Ken Russell (1971), très influencé par le roman de Lewis, et que Moll d’ailleurs cite parfois au plan près (sermons, confessions, procession), pour mesurer le défaut de vie, de chair, de force incantatoire de cette plate adaptation du Moine.