Le film à procès, un des genres-phares du cinéma américain des années 70, a pris pas mal de plomb dans l’aile ces dernières décennies. Mis à part le phénoménal Enfer du devoir de William Friedkin (2000), le genre est devenu une sorte de background hollywoodien désuet où se fourvoyer en toute tranquillité (l’occasion de bons vieux téléfilms des familles pour après-midi pluvieuses). Rien que pour cela, Le Maître du jeu mérite le détour : sa façon de reprendre le genre à zéro (dans l’oeil des jurés, qui tiennent ici la vedette) et d’en convoquer les clichés de manière assez fine tient d’un véritable petit tour de force.

C’est malheureusement le seul intérêt du film. Avantage : une approche en double-foyer du genre, avec en surface la lutte entre deux acteurs mythiques directement revenus des années 70 d’un Frankenheimer ou d’un Schlesinger, Gene Hackman (le méchant, défenseur des vendeurs d’armes qui ont indirectement provoqué un carnage) et Dustin Hoffman (le gentil défenseur de la partie civile). En profondeur, la lutte en contre la montre pour le contrôle des jurés, avec un jeu délirant de roulés-boulés manipulateurs et de tentatives de corruption dont Nick, leader des jurés (John Cusack), accompagné d’une mystérieuse maîtresse-chanteuse, tirent les ficelles. Cette façon de feindre le classicisme pour peu à peu en désigner l’anachronisme et l’inanité, en une approche décadente et perverse du genre, est la relative bonne surprise du film. Le Maître du jeu pourrait alors prétendre à être un sympathique film-témoin de son temps : perte de toute valeur, cynisme déconcertant, plaisir baroque ou maniériste de la pose et du clin-d’oeil sournois.

Principal problème maintenant : Gary Fleder, qui n’est pas véritablement un cinéaste, tout juste un faiseur poids lourd entre les mains de boucher duquel tout sujet se transforme en chair à pâté. A peine réalisé, à peine monté, le film ne tient la route que grâce à la belle mécanique huilée de son intrigue. Sans la moindre saveur, les images se succèdent sans adhérer les unes aux autres, aucun regard ne venant les organiser. De là cette façon assez obscène de passer du plus jouissif plaidoyer anti-politiquement correct (la face noire du film) à une horrible niaiserie humaniste (les dix dernières minutes où tout se retourne en faveur d’un conformisme pathétique) sans prévenir, avec pour seuls mobiles visibles racolage et putasserie bon enfant. Rien de méchant, certes, mais c’est précisément de cette absence totale de réelle méchanceté que provient l’inutilité totale d’un tel film.