Si les précédents films de Sogo Ishii ont, pour la plupart, fait une belle carrière dans les festivals internationaux, Le Labyrinthe des rêves (1997) est le premier à bénéficier d’une sortie en salles en France. Un retard à rattraper et un auteur nippon de plus à découvrir, car Ishii, qui compte une dizaine de films à son actif, est un cinéaste prolifique qui construit depuis 1976 une œuvre diversifiée (de son premier long métrage en super-8 intitulé Panic in high school sur la rébellion d’un lycée, en passant par le film de motard Crazy thunder road tourné en 16 mm, jusqu’aux années 90, période plus introspective).

D’apparence plus sage, Le Labyrinthe des rêves réunit pourtant quelques-uns des éléments qui ont formé la filmographie de Ishii : l’ambiance de polar fantastique, l’attrait pour la subversion et l’expérimentation formelle. Son histoire comporte notamment une charge contestataire aussi forte que celle véhiculée par ses premiers films ouvertement rebelles. Dans le Japon des années 30, une receveuse d’autobus s’amourache d’un conducteur qu’elle soupçonne être un tueur en série. Au-delà de la base fictionnelle sur laquelle s’appuie Ishii, le film n’est ni plus ni moins que le récit désespérant d’une jeune Japonaise qui plonge délibérément vers la mort pour sublimer sa vie et sortir d’un pesant ennui. Par le traitement de ses personnages, flottant sans cesse entre l’incarnation et le spectral (voir l’étonnant charisme de Tadanobu Asano qu’on a déjà pu apprécier dans le premier film de Christopher Doyle, Away with words), et la construction d’une atmosphère irréelle hantée par des signes psychanalytiques, le cinéaste idéalise un fait divers pour le sortir du concret, comme s’il n’y avait de beauté que dans les espaces fantasmatiques de nos consciences. Plutôt mourir superbement que vivre médiocrement semble nous murmurer Ishii, en filigrane de son film. On comprend la position marginale du cinéaste dans son pays… Ce désir d’échapper au réel se traduit formellement par une déconstruction narrative systématique, mêlant réminiscences du passé et images du présent, projections mentales et actions quotidiennes. Il faut alors se laisser porter par la poésie des plans, parfois dépouillés, parfois ornés de surimpressions, sans chercher à suivre de façon linéaire un récit conçu pour nous permettre d’accéder aux méandres du Labyrinthe des rêves des protagonistes.