Fin du marathon en Terre du milieu pour Peter Jackson. Et pour le spectateur — lambda comme tolkienophile —, le sentiment confirmé d’une indéniable débâcle, face à un film qui tient a priori du gros nanar. On s’épargnera de détailler les raisons, complexes, qui ont poussé Jackson à remettre le couvert aussi vite et à devoir rivaliser avec une saga dans laquelle il avait mis déjà beaucoup de ses forces. Sinon pour préciser que La Bataille des Cinq Armées, troisième volet de cette seconde trilogie adaptée de l’oeuvre de Tolkien, ne fait au fond qu’entériner une évidence : difficile, pour un seul être humain, de réaliser six fois le même film de trois heures sans 1- se répéter un peu ; 2- finir par faire proprement n’importe quoi.

Le premier volet du Hobbit le disait déjà nettement, égrenant des péripéties strictement semblables à celles du Seigneur des Anneaux. Une gémellité qui appuyait le pressentiment que la seconde trilogie ne ferait que marcher sur les traces de sa légende, avec l’espoir toutefois qu’à l’instar de son anti-chevalier, elle finirait par trouver son héroïsme en chemin. Rafraichi par le ton plus enfantin du livre, Jackson se lançait sans complexe à la recherche d’une respiration épique nouvelle, vouant son troupeau de nains débonnaires et ses séquences musicales incongrues à un pompiérisme forain capable ici et là de quelques accords originaux. Soit : une épopée fantastique à la bonne franquette, portée par un goût pour l’aventure en roue libre et délestée du lyrisme grave qui forgeait, pour le meilleur et pour le pire, la carapace sentencieuse du Seigneur des Anneaux.

Problème : prisonnier de son impératif de grandeur (8h, mais pourquoi ?), cette nouvelle saga demeure jusqu’au bout en quête d’un second souffle qui ne viendra jamais. Et se condamne à l’alternance de ventres mous et de coups de forces, au remplissage forcé de monstres et de décors, pour une escalade spectaculaire dont l’absurdité culmine dans cet ultime volet. Monté à l’envers (l’attaque du dragon, climax survendu par les deux premiers épisodes, est ici expédiée en prologue), le film a des allures de gros jouet démantibulé, à la fois obèse et vide, sans plus rien de logique pour structurer son pugilat de nains, elfes, orques, trolls, on ne sait plus et on s’en fout.

À moins qu’il ne faille chercher la clef de cette pantalonnade guerroyeuse dans les années de formation, bis et gore, de son auteur. Il ne serait pas exagéré, en effet, d’envisager cette Bataille des Cinq Armées comme une sorte de Braindead en Terre du milieu, où les gerbes de sang auraient été remplacées par un caramel numérique new age, dégoulinant du haut d’une série Z opulente où Jackson trônerait en Pantagruel régurgitant sa bouillabaisse d’heroic fantasy. Certes, même dans Le Seigneur des Anneaux ou King Kong, il ne s’était jamais agi d’autre chose que de mettre la générosité et l’ingéniosité de la série Z au service de superproductions épiques et carnavalesques. Sauf qu’avec Le Hobbit, Jackson semble paresseusement oublier d’en repasser par le dur, le trucage, l’astuce de bric et de broc. L’esprit déjà au Temple du Soleil, le cinéaste préfère foncer bille en tête s’abreuver à l’oasis numérique, au rythme d’une projection à 48 images par seconde achevant de déréaliser ce qui ressemble déjà beaucoup trop à une cinématique de World of Warcraft.

On se souvient pourtant de l’impeccable mariage de CGI et de prises de vues réelles que venait célébrer la première trilogie, grand péplum itinérant sous l’emphase duquel affleurait un beau programme : transformer son pays natal en vaste royaume imaginaire, et son livre préféré en prétexte à un trek surdimensionné, plein de rencontres extravagantes, de trognes biscornues et de défis hardis. Dix ans après, il est étonnant de constater à quel point The Hobbit ne s’est lui, à aucun moment, donné la peine d’être crédible. On dirait que, pris au sérieux, Jackson en est devenu d’autant plus immature : sa gravité démiurgique s’est émoussée, pour mieux laisser libre cours à l’imaginaire bis. Inutile de préciser que ce storytelling puéril et patapouf, aujourd’hui toutes voiles dehors, fait forcément redouter le pire en vue de son adaptation en performance capture de Tintin — mais ne prive pas non plus, après les péripéties auto-générées et l’open world en ligne claire de Spielberg, d’espérer le meilleur.