Plus qu’un titre, c’est presque une devise, un manifeste. L’écriture du couple Bacri-Jaoui représente une parfaite assimilation du scénario à la française, une maîtrise sans faille de ses meilleures recettes -ce qui n’est en rien péjoratif. Là résident probablement les qualités et les limites du Goût des autres : des personnages et un terrain d’observation familiers, des questions qui nous appartiennent, presque trop d’ailleurs pour donner le sentiment de la différence et un aperçu de ses mystères.

Parler de soi, parler des autres : il y a aussi une équivalence secrète, tantôt juste, tantôt gênante, dans ces deux démarches d’écriture. De quoi -ou plutôt de qui- parle-t-on dans ce film ? D’un chef d’entreprise, Castella (Jean-Pierre Bacri), qui tombe amoureux de Clara (Anne Alvaro), une actrice vieillissante et mélancolique qui, hasard, est aussi sa prof d’anglais. De Manie (Agnès Jaoui), une serveuse libérée et indépendante qui s’entiche d’un garde du corps macho et réac (Gérard Lanvin). De Deschamps (Alain Chabat), un chauffeur qui soigne ses peines de cœur en jouant de la flûte traversière. Il y a entre eux des liens, commodité scénaristique dont on appréciera l’habile élaboration. Certaines choses séparent les uns artificiellement : des idées toutes faites, une position sociale, des tempéraments. Les autres se rapprochent pour mieux mesurer ce qui les éloigne, peut-être irrémédiablement. Comme dans les précédents films écrits par le couple de scénaristes, la circulation des personnages et des thèmes dont ils sont porteurs fonctionne à merveille, mécanique parfaitement huilée, au point que l’on aimerait la voir s’emballer un peu plus, quitte à prendre le risque de dérailler. Mais il faut au moins stopper le ronron tranquille de cette belle machine pour en ausculter les rouages, et s’apercevoir qu’elle est presque sans défauts. Son énergie, c’est la douceur et la justesse du regard, ici plus désenchanté, plus souffrant qu’avant. Il y a toujours de l’humour et de la moquerie, ce petit jeu de massacre auquel ces excellents acteurs prêtent tout leur talent. Mais la caricature (parfois appuyée) paraît bien désuète à côté de la mélancolie profonde qui pousse les personnages à se rencontrer, à se trouver sans que rien ne les y invite. Personne n’est fait « l’un pour l’autre ». Rien n’arrive par enchantement, ni même forcément par désir -ou alors ce que l’on prend pour un désir n’est que le désir de l’autre que l’on a fini par faire sien. C’est ce que réalise tardivement Clara, le personnage d’Anne Alvaro, de loin le plus émouvant du film. Castella, cadre moustachu et bougon, qui passe sans transition du ridicule au pathétique, ne lui fait pas honneur avec ses avances de collégien. Et pourtant, il ravive en elle un besoin ancien, presque vital. Après la solitude qui la conduit au vertige de la mort, elle finit par l’admettre. Le Goût des autres, dès lors, ce n’est pas tant les accepter que ressentir la triste nécessité du bonheur.