Soyons clairs dès le départ, Le Barbier de Sibérie, projeté hors compétition en ouverture du Festival de Cannes 99, entre dans la catégorie des « films-monde » : production et casting international, Cinémascope, ses ambitions universelles sont clairement affichées. La recherche du plus large dénominateur public commun étant de mise, il ne s’agit donc pas d’attendre d’un tel film une quelconque révolution en matière de cinéma. Bien au contraire, ce genre de postulat implique inévitablement le respect de quelques contraintes standardisées quant au travail artistique exécuté. Dès lors, l’enjeu du film consiste à savoir jouer de ces contraintes pour donner naissance malgré tout à une œuvre personnelle, originale, inventive. Et la première heure du Barbier de Sibérie a bien failli nous faire croire que Nikita Mikhalkov allait tenir ce pari jusqu’au bout.

Si l’histoire et la réalisation obéissent à un certain classicisme peu stimulant, mais néanmoins habile en ce qui concerne la réalisation, le ton avec lequel le cinéaste aborde l’action du film durant cette heure est plutôt réjouissant.
1905, USA : une femme écrit à son fils, cadet à l’académie militaire de West Point, pour lui révéler un secret vieux de vingt ans. 1885, Russie : Jane Callahan (Julia Ormond) rejoint Douglas McCraken (Richard Harris), inventeur d’une machine à déboiser appelée « le barbier de Sibérie ». Elle est payée pour séduire un général russe afin de vendre cette invention à son pays. Dans le train, elle va faire la connaissance d’André Tolstoy (Oleg Menshikov), chanteur d’opéra et cadet de l’armée commandée par le général. Ils tombent amoureux l’un de l’autre sans se l’avouer. Rien de vraiment remarquable dans ce récit. Sa mise en image, construite par quelques flash-back ostensiblement étiquetés, et d’incontournables plans larges grandiloquents, bénéficie cependant d’une certaine fluidité, insufflée par d’habiles travellings et un montage astucieux. Mais de manière tout à fait surprenante, Mikhalkov traite cette histoire sur le mode grand guignol, avec en particulier une bonne dose de dérision vis à vis de ses personnages. Le cinéaste prend un malin plaisir à désamorcer systématiquement les élans emphatiques de son sujet, au profit d’un second degré dépourvu de sérieux, et parfois même proche de la farce bouffonne. Contre toute attente, c’est dans ces moments les plus débridés qu’une certaine émotion parvient à se glisser jusqu’au spectateur. Ce ton atteindra son apogée dans une séquence d’orgie de vodka, au cours de laquelle le général perd toute mesure. Elle est à la fois féerique, bestiale, burlesque et surréaliste. Fin des réjouissances. Mikhalkov décide brusquement de prendre son sujet au sérieux, de nous émouvoir, et de nous glisser sa vision réactionnaire d’une grande Russie.
Malgré ce qu’elle lui a révélé après qu’ils aient fait l’amour, ce têtu d’Andrey croit naïvement que Jane est réellement amoureuse du général. Aveuglé par la jalousie, il frappe ce dernier en plein milieu d’un opéra (Le Barbier de… Séville). Il est enfermé puis déporté en… Sibérie. Pour le suivre (de loin), Jane se marie avec Douglas, envoyé pour raser la Sibérie avec son barbier. Malheureusement, elle ne parviendra pas à le rejoindre. Entre temps, il a eu deux enfants et est devenu barbier en… Sibérie. Vingt ans plus tard, elle décide donc d’écrire à son fils afin de lui révéler que son père est un russe dénommé Andrey, barbier en…

Curieusement, c’est lorsque l’histoire tourne au ridicule que le réalisateur choisit de devenir sérieux. Il retrace en gros plans pleurnichards, et avec le plus grand pathos, ce quiproquo absurde, vante avec l’esthétique publicitaire des productions hollywoodiennes l’amitié sans faille des cadets pour leur camarade Andrey, tricote en gosses mailles une subtile allégorie sur la folle machine américaine qui déboise les belles forêts russes, et loue, à grands coups de scope et de louma, la grande Russie et son peuple uni. Seul le personnage de la servante d’Andrey, accrochée primitivement à l’amour discret, puis farouche, qu’elle porte à son maître, échappe au marasme. Allez Nikita, reprends plutôt un dernier verre !