Proche de Youssef Chahine dont il a été assistant-réalisateur et pour lequel il est passé devant la caméra dans Alexandrie encore et toujours, Yousry Nasrallah s’est signalé à l’attention du public français avec son premier film, Vols d’été, présenté à Cannes en 1988 puis distribué en salles. La Ville, produit par la télévision et diffusé sur Arte il y a deux ans, prolonge les interrogations sur la société égyptienne, sur l’appartenance à la culture islamique qui filtraient déjà de ses travaux précédents. Son héros, Ali, quitte le Caire lorsqu’il perd sa place de comptable pour concrétiser son rêve, devenir acteur, dans le pays de tous les espoirs, la France. Au bout d’un chemin tortueux, ponctué de compromis, de mensonges et de violences, son identité est tellement malmenée qu’il en perd la mémoire et finit par retrouver sa terre natale. La Ville s’achève à l’unisson du vibrant poème de Cavafy dont il s’inspire : « … La ville te suivra. (…) Où que tu ailles tu débarqueras dans cette même ville. Il n’existe pour toi ni bateau ni route qui puisse te conduire ailleurs. N’espère rien. »*

La migration n’est qu’un mirage, c’est la fidélité à sa quête, la résistance à ses idées qui l’emporte. Fable circulaire au constat désabusé mais zébrée d’éclats poétiques qui la hisse au-delà du simple discours de société ou du pamphlet. Car le film de Yousry Nasrallah ne se porte jamais mieux que lorsqu’il laisse son regard flotter sur le petit monde grouillant du marché de Rod-El-Farag ou lors d’une simple et émouvante scène de baignade nocturne dans le Nil. La partie centrale du film, la perte des illusions d’Ali sur le sol français, paraît, en comparaison, trop appuyée, moins subtile dans ses choix dramatiques. Alors que Nasrallah nous dit que l’Ailleurs n’existe pas, il semble paradoxalement lui-même souffrir du changement de territoire et s’avère moins à l’aise dans la direction d‘acteurs non égyptiens. Ce déséquilibre ne handicape pourtant que partiellement son récit et n’atténue pas un ensemble qui, homogénéisé par la beauté du regard et le talent de la mise en scène, s’harmonise comme par enchantement, laissant derrière lui une persistante trace de lumière.

* traduction : Marguerite Yourcenar