L’affiche de La Vie moderne présente trois personnes isolées dans un quadrillage reflétant la structure du film : trois destins parallèles qui ne se rencontrent à aucun moment. Claire, magistralement interprétée par Isabelle Huppert, une femme en mal de maternité, Marguerite, une jeune fille que la perte de sa mère rend mystique, et enfin Jacques, dont la compagne est partie en emmenant leur enfant. Un homme, une femme, une fille, sur ce canevas de la famille nucléaire, la réalisatrice brode quelques tranches de vie qui ne se font écho que dans l’esprit du spectateur.

Comme dans Les Gens normaux n’ont rien d’exceptionnel ou J’ai horreur de l’amour, ses deux précédents longs métrages, c’est la faille interne de chaque être qui intéresse Laurence Ferreira Barbosa, ce léger trouble qui rend n’importe quel acte possible, cette indécision propice à l’inattendu. Comme des enfants jouant à un jeu dont ils ignorent les règles, Claire et Jacques se laissent porter par ce qui leur arrive : ils se laissent aborder par des inconnus, pénètrent des lieux étrangers à leur univers, accomplissent des actes « fous »… Soutenant ce scénario triptyque, le travail de direction d’acteurs est remarquable, tout en finesse, allant du jeu très naturel à l’emphase, en passant par une quasi-théâtralisation pour le personnage secondaire d’Eva qui se révèle être malentendante. Les dialogues, de même, changent de registre avec les personnages : affectation de Marguerite s’exclamant « Eloignez tous les hommes mauvais de mon corps dodu ! », alors que le personnage de Jacques utilise plutôt l’art de la formule du type : « Je ne cherche pas à nuire aux autres, je cherche juste à nuire à la bêtise. » Si l’histoire de Claire, illuminée par la présence d’Isabelle Huppert, et de Jacques est touchante par sa tonalité de polar loufoque, le personnage de Marguerite, la jeune adolescente, en proie à une crise de mysticisme et rejetée par ses camarades de classe, est lui beaucoup plus grossièrement dépeint. Pourtant, la mélodie en trois tons est une réussite, et lors de la scène finale, quand les trois héros sont emportés par la foule d’une station de métro aux heures de pointe, il semble que chacun d’entre nous, finalement, aurait pu être tiré de l’anonymat par Laurence Ferreira Barbosa !