La saga Jason Bourne se poursuit avec Paul Greengrass, grand professionnel de la caméra bougée dont la britannitude l’autorise à se prendre pour Peter Watkins plutôt que Michael Bay. Et pourtant, La Vengeance dans la peau n’est rien de moins qu’un vulgaire blockbuster où fond et forme tournent en boucle dans un satisfecit un peu rasant. Bourne est toujours à la recherche de son identité, il pense à sa copine morte dans le dernier épisode (flashback avec images du précédent, avec le même sens du kitch nostalgique que Rocky Balboa), file dans les rues la jambe toute raide après avoir terrassé les tueurs de la CIA dans un trois-pièces du tiers-monde – un couloir de métro fait très bien l’affaire aussi.

L’énergie déployée par Greengrass dans La Mort dans la peau (opus 2) laissait légèrement sceptique quant à sa propre virtuosité, entre exercice friedkinien et hachis-parmentier. Le statu quo de La Vengeance lève le doute : le cinéaste est un honnête chef mixeur trop limité pour s’avérer génial. Pas de respiration ni de mise en espace, rien qu’un halètement dicté au métronome par le cahier des charges. Soit un mélange pas si habile de politique-fiction d’opérette et de course-poursuite 90’s (Le Fugitif à la sauce mondialisation) qui laisse le film cramponné à l’air du temps. Certains y verront le canevas thématique des années 2000, théorisé autant qu’incarné façon post-Warhol, sampling froid dont l’aliénation fait partie intégrante. La morale du film n’a d’ailleurs pas changé d’un iota depuis le premier opus : les Etats-unis voient leurs armes de destruction massive se retourner contre eux. Et l’arme en question de se débattre avec sa responsabilité individuelle, se regardant faire avec étonnement, se soustrayant à la grande lessive de cerveau, luttant en parallèle pour trouver sa place dans le monde : emmerdeur public, justicier masqué, un peu tout à la fois.

D’où ce séquentiel binaire assez falot : espionne droite dans ses bottes contre barbouze bureaucrate, destin tracé contre émancipation au prix maximal. Le film finit alors par se soustraire au mélo psychologique qui lui pendait au nez au cours d’un finale grandiloquent où Bourne revient sur les lieux de son trauma, trouvant sur place le médecin machiavélique qui l’a transformé en bête de guerre. Le masque de Greengrass se décolle avec la résolution du thriller. Décor à l’arrêt, personnages en mode Sherlock Holmes, le cinéaste baisse la garde sans gloire ni trompette : ce qui sous-tend la saga est emballé dans un flashback réexpliqué in vivo par le toubib, qui ferait passer Ne le dis à personne pour du Shakespeare. L’on pense alors au beau film de Jonathan Demme, Une Balle dans la tête, envoûtante quête du souvenir tâtonnant dans le halo poisseux d’images triturées ; on se dit que le cinéma politique américain d’aujourd’hui ferait mieux de creuser cette voie plutôt que d’empiler des épisodes de 24 heures chrono au jus de crâne synthétique des seventies.