Merci Artus Films, qui exhume La Sorcière sanglante (1965), une rareté absolue du ciné gothique italien de la meilleure veine, entre Les Vampires de Freda et Le Masque du démon de Bava. C’est le troisième grand film fantastique d’Antonio Margheriti (1931 – 2002), après le succès de Danse macabre et de La Vierge de Nuremberg. Quelque part en Europe centrale à la fin du XVe siècle, le châtelain du coin, le comte Humbolt, occupe son temps comme il peut, viole quelques servantes et brûle des sorcières entre deux épidémies de peste. Une malédiction est lancée. Des années plus tard, une belle jeune fille aux longs cheveux très noirs se présente à la porte du château des Humbolt, on imagine la suite.

La Sorcière sanglante -préférer le très beau titre original, I lunghi capelli della morte (littéralement : les longs cheveux de la mort)- installe d’emblée un climat d’inquiétante étrangeté qui sans se référer ouvertement au fantastique, laisse sans cesse planer le doute du surnaturel : la peste, les citations tirées de l’apocalypse de St Jean, le convive des dernières fêtes, la folie qui doucement s’installe, et l’univers d’Edgar Poe, déjà présent dans Danse macabre, qui n’est pas très loin. Celui de Roger Corman non plus, qui tourne au même moment Le Masque de la mort rouge sur un thème quasi identique.

L’angoisse sourde dès les premières notes du générique d’ouverture (B.O. flippante du maestro dell horror al Italiana, Carlos Rustichelli) avec les reflets mouvants du lettrage sur le mur éclairé par une torche, bien à l’image expressionniste d’un film qui joue moins de l’opposition franche du noir et du blanc que des incertitudes d’un érotisme morbide incarné par une Barbara Steele plus vénéneuse que jamais. La Sorcière sanglante est tourné dans la foulée de Danse macabre, Margheriti y reprend les mêmes décors, la même équipe technique et renoue avec l’actrice alors au sommet de sa beauté, toujours très à l’aise dans l’ambiguïté du double rôle de victime et de morte vivante vengeresse. Double rôle habituel qu’elle endosse sans relâche une décennie durant, tour à tour pour Mario Bava, Roger Corman, Mario Caiano, Riccardo Freda, Michael Reeves, etc. A son plus grand mécontentement d’ailleurs. Devenue l’égérie du fantastique italien depuis son apparition dans Le Masque du démon en 1960, elle finit par ne plus supporter d’être toujours enfermée dans son personnage d’éternelle sorcière d’un cinéma de moins en moins inspiré.

« Je viens de terminer un film avec Margheriti, I lunghi capelli della morte (…), pour ce film, on a commencé par les séquences « psychologiques ». J’arrivais sur le tournage à 7 heures du matin et je devais jouer une scène d’amour avec un type que je n’avais jamais vu. J’arrive et comme ça, il faut s’embrasser et tout ça… Et je ne connaissais même pas son nom ! J’aime bien connaître au moins le nom de mon partenaire… » (Midi-Minuit Fantastique #12).

Le pire est atteint avec The Curse of the Crimson Altaïr (1968) de Vernon Sewell. Peinte en bleu, elle n’apparaît que dans la dernière bobine, à trois minutes de la fin, se contentant de répéter « sign ! sign ! sign ! ». On ne l’y reprendra pas de si tôt. Longtemps, elle ne jurera plus que par son rôle dans Huit et demi de Fellini (hélas considérablement raccourci au montage), pour, au contraire, ne retenir que les aspects les plus négatifs de son statut d’icône du fantastique.

Sous certains éclairages, avec certaines couleurs, elle obtient des expressions qui ne sont pas humaines, disait d’elle Ricardo Freda. Ses yeux verts métaphysiques, qu’on dirait sortis d’une toile de Chirico, sa longue chevelure noire de gorgone, cette bouche trop grande, ce cou gracile qu’on aimerait serrer jusqu’au dernier souffle, son doux visage de porcelaine qu’on imagine grouillant de vermine sous le masque. Entre sensualité torride et putréfaction, Barbara Steele demeure à jamais un pur fantasme nécrophile. Sans oublier ses seins d’albâtre. La Sorcière sanglante offre un bref aperçu de la poitrine dévoilée de la belle en gros plan subliminal (00:46:01 : arrêt sur image + zoom x 4 + frame). La séquence laisse hélas supposer l’arnaque d’une doublure avantageuse, mais il n’est pas interdit de rêver.