La Sociologie est un sport de combat débute comme aurait pu commencer Pas vu pas pris, le précédent film de Pierre Carles : un homme public, Pierre Bourdieu, sort de son enveloppe médiatique, dévoilant une faiblesse, une fragilité. Le sociologue a le trac avant une vidéoconférence avec des étudiants étrangers ; il se prend la tête dans les mains, respire, et avoue sa nervosité. Rien à voir cependant avec les poussées d’adrénaline d’un Jacques Villeneuve ou d’un Karl Zéro, ou les lapsus révélateurs d’Anne Sinclair, dont on se délectait à foison dans Pas vu pas pris ; non, cette fois-ci, la caméra de Carles n’est plus une « arme contre, mais au contraire « au service de ». Et cela change tout : le trac de Bourdieu ne le ridiculise pas mais l’humanise et le débarrasse d’emblée de cette étiquette d’intellectuel figé qui lui colle à la peau.

Premier tour de passe-passe d’un montage d’une grande intelligence (véritable marque de fabrique des documentaires du réalisateur), ce début est aussi un pied de nez amusant à ceux qui craignaient l’hagiographie sirupeuse, la déification outrancière. La Sociologie… ne se vautrera jamais dans de telles facilités, tout en affirmant, et c’est tant mieux, un point de vue très tranché sur la question Bourdieu. Ce point de vue, c’est justement d’avancer qu’il n’y a pas de « question Bourdieu » mais une « pensée Bourdieu », qu’il convient de suivre, de décrypter, de comprendre…Les multiples interventions du sociologue -en interview, en cours, en réunions de travail, etc.- sont autant de moments passionnants qui nous permettent d’écouter une pensée en action, d’analyser ses mécanismes de réflexion, et, surtout, de confronter les conclusions de Bourdieu à notre propre vision de la société.

Assez paradoxalement, les meilleurs moments de La Sociologie… ne viennent pas tant de ces excellentes séquences pédagogiques, mais plutôt des passions que l’homme suscite, des discours que sa seule présence suffit à provoquer. Deux scènes magistrales encadrent le documentaire : la première est hilarante et met aux prises l’auteur de La Domination masculine avec une étudiante belge qui soliloque à n’en plus finir, sans que l’idole alpaguée ne puisse placer un mot ; la seconde, plus « dramatique », se déroule dans une salle d’animation du Val Fourré, où Bourdieu est venu débattre avec les habitants locaux. Là encore, le sociologue reste coi, écoutant avec attention les échanges entre les gens du quartier qui s’alpaguent les uns les autres sur les intellectuels, la politique, les psychologues de banlieue, etc. La Sociologie… finit sur cette séquence intense, moment effrayant (l’anti-intellectualisme affiché dans la salle donne des sueurs froides à Bourdieu) et émouvant à la fois, car derrière la discussion parfois vive, c’est une véritable prise de conscience des problèmes (et des non-solutions) qui vient pointer le bout de son nez, comme un premier coup de poing à la léthargie ambiante. La sociologie est définitivement un sport de combat.