Quel enjeu pour ces « origines », prequel inattendu de la fable écolo imaginée par Pierre Boulle et fidèlement illustrée en 1968 par Franklin J. Schaffner (et on oublie volontairement l’adaptation de Tim Burton de 2001) ? Allait-il s’agir seulement de chercher la laborieuse explication de l’image, fameuse – les vestiges ensablés de la Statue de la Liberté -, sur laquelle se refermait l’original ? Certes, le film de Rupert Wyatt vise bien à objectiver les fondements de la fable, à remplir le hiatus de l’« anticipation ». Mais cela lui permet surtout de relancer les thèmes classiques de la SF (capitalisme débridé, lutte des classes, dérives scientifiques et catastrophe nucléaire) dans notre présent. L’actualité récente et sa batterie de cataclysmes, ainsi que le retour en force des thèses écologistes, en ont fourni le socle idéal : la fin des temps, c’est ici et maintenant. A ce titre, le film se charge moins de porter un avertissement – la SF sixties – que d’annoncer l’imminence d’une révolution (les affiches montrent un singe au poing levé).

Un jeune scientifique (James Franco) oeuvre pour une firme pharmaceutique à la découverte d’un remède à la maladie d’Alzheimer, ses tests se portant sur des chimpanzés. Mais l’empressement d’actionnaires en manque de résultats le contraint à poursuivre ses expériences chez lui. Il sauve du laboratoire un bébé singe muté génétiquement, faisant preuve de capacités cognitives étonnantes, et le recueille clandestinement… A cet endroit, l’argument science-fictionnel est malmené au profit d’un projet plus biscornu, puisqu’il s’y agit d’accompagner en la personne du singe mutant l’éveil, puis l’émergence, d’un puissant leader révolutionnaire. Le film se pare alors d’une curieuse ambition biographique, reprenant à son compte la forme téléologique du biopic : cette somme d’étapes qui ouvrent la voie d’une destinée, cette collection de signes révélateurs d’une vocation.

Tout y est. L’enfance surdouée mais recluse – le singe regarde les vrais enfants jouer dehors. L’adolescence taciturne -, le chimpanzé porte un sweat-shirt comme tous les teens. La délinquance – dans un accès de rage, il arrache un doigt à un voisin. La réclusion en pension de redressement – une ménagerie de sûreté pour les bipèdes. La prise de conscience politique – ses semblables sont enfermés dans des cages. La prise de parole séditieuse – le premier mot que lâche notre singe mutant est « No ! ». L’organisation d’une révolte – le chimpanzé libère ses frères et forme une faction anarchisante qui déferle sur San Francisco. Dans ses meilleurs moments, le film parvient à figurer, sous son armée de singes velus, l’existence d’un sous-prolétariat, éhontément exploité, privé de parole, mal nourri et brimé par ses maîtres. Il réussit également, avec sa créature de synthèse, à décrire l’affirmation d’un regard – de la neutralité bestiale à la détermination politique -, comme la naissance d’une conscience de classe. Ce n’est pas rien.

On peut tout de même s’interroger sur ce précis de marxisme anachronique en plein blockbuster estival. Ce serait presque délectable si La Planète des singes 2011 ne semblait tant gêné aux encoignures du genre et du message, du mythe (les origines) et de la métaphore (la lutte des classes). Wyatt ne fait, malheureusement, que neutraliser l’un par l’autre en noyant, dans une psychologie individualiste propre au biopic, les fondements de la révolte. Autant le film sait se montrer efficace quand il assimile la diffusion du germe révolutionnaire à l’épidémie du virus éveillant la conscience des singes, autant il rame quand il nous explique que le personnage de James Franco travaille dans le but inavoué de guérir son vieux père (John Lithgow), atteint du syndrome d’Alzheimer. Coincé entre empathie et catastrophisme – faut-il comprendre ou craindre les singes ?-, on en vient un peu tard à l’idée de révolution, entée sur le récit comme une drôle d’excroissance.

A prendre le film au mot psychanalytique, on voit bien qu’il ne s’agit pas tant d’un retournement de la Nature contre l’Homme, que d’une étrange figuration socio-politique. Pourquoi Hollywood doit-il fantasmer le bas-peuple révolté sous des traits simiesques ? C’est, si l’on veut, le même petit jeu qui, dans Greystoke, autorisait à voir dans le personnage de Christophe Lambert l’image que les Anglo-Saxons se faisaient du Français, cet énergumène mal élevé, ce grand singe qui mange avec ses doigts. On voit là une façon un poil hypocrite – car puritaine – de mettre en scène l’altérité : à cet endroit finalement très acceptable où, de loin, elle peut encore nous ressembler, où elle nous prend encore comme modèle. Tout le contraire, par exemple, de l’Elephant man de David Lynch.

En cela finalement, le film n’est pas moins opportuniste que ses prédécesseurs, qui déjà feignaient la force de frappe politique pour se contenter d’illustrer un message contestataire dans le vent. On peut être déçu, mais pas vraiment s’étonner, de ce que le ferment politique ici ne figure qu’au nombre des froides obligations d’une franchise courant en fin de compte après une seule origine : celle de son succès.