Du sang, du sperme et des larmes, La Pianiste exsude ces trois substances par tous les pores. Dire que le dernier Haneke est un film choc tient presque de l’euphémisme tant, par moments, il se montre à la limite du soutenable. Opérant à vif, le cinéaste dépèce la société autrichienne, sonde au plus profond de ses plaies et, surtout, dissèque magnifiquement la dérive névrotique d’une femme.

Ce cas pathologique s’incarne en Erika Kohut (Isabelle Huppert). A plus de 40 ans, ce professeur de piano qui tyrannise ses élèves vit toujours chez sa mère (Annie Girardot), une marâtre possessive. Sa vie, elle l’a à peine vécue, et ses pulsions sexuelles ne s’assouvissent qu’à la sauvette à base d’automutilation ou sous forme de voyeurisme. Une existence vide, sans issue, jusqu’au jour où l’un de ses élèves, le séduisant Walter (Benoît Magimel), tombe amoureux d’elle. Mais à la place de la romance attendue par le jeune homme, Erika propose, ou plutôt impose, un pacte sadomaso.

Michael Haneke n’est jamais aussi convaincant que dans l’autopsie de cet amour impossible. Les fantasmes enfin révélés de l’une, l’incompréhension de l’autre ; on ressent la moindre palpitation de cette relation limite. Il est vrai que le cinéaste est grandement aidé par le talent de ses interprètes. Tous trois, Benoît Magimel et sa beauté angélique, son opposé, Annie Girardot, vielle femme fripée au bout du rouleau, et Isabelle Huppert, tout simplement sublime (à force d’aligner tant de perfection et de performances, Huppert et sublime ne confinent-ils pas au pléonasme ?), sont, en effet, en tous points admirables. Même si cette dernière, entre incandescence et glaciation, l’emporte largement sur le reste de la distribution.

Sans aucun doute, Haneke est un spécialiste ès comportements humains. Pourtant, si son observation clinique nous convainc lorsqu’il s’agit d’un cas particulier, parfois la systématisation de cette relation frise la démonstration : à la tyrannie d’une mère fait écho celle d’un professeur, à la soumission d’un élève fait écho celle d’une maîtresse vis-à-vis de son amant et surtout au voyeurisme d’Erika fait écho celui du spectateur… Tout occupé à regarder son vivarium, enfermé dans son bocal conceptuel, Haneke ne nous épargne pas certaines maladresses, certains symbolismes trop criants (la rencontre des deux mères, celle de l’élève et celle d’Erika, est à ce titre exemplaire). La fable politique manque peut-être un peu de rigueur mais la radiographie de cette passion hors normes restera toutefois longtemps gravée dans nos esprits.