La Nounou est à Garri Bardine ce que Wallace et Gromit représente pour Nick Park : un univers de maison de poupées que le grand maître de l’animation russe n’a de cesse de quadriller, autant qu’un prétexte idéal pour déployer une virtuosité diaphane où le bricolage le dispute à la grandiloquence des mouvements de caméra. C’est donc reparti pour une troisième aventure de la mamie en robe de chambre et patins à roulettes, qui cette fois recueille un chiot sur le pas de sa porte, au grand dam de l’enfant qu’elle garde. Elément aussi perturbateur que Terrence Stamp dans Théorème, le petit animal attendrit la grand-mère et ulcère l’enfant, qui ne voit en lui qu’un rival d’affection.

Bardine emprunte ce point de vue jaloux et blessé, déchiquetant sans vergogne son cocon douillet. Il faut voir à quel niveau d’intensité le film démarre, la complicité rêvée pied au plancher, faisant de chaque mouvement un rituel délicieux et enivrant. Voir la joyeuse course-poursuite entre l’enfant et la nounou dans la maison de carton et de tissu, saisie par un vertigineux panoramique sur fond du Carmen de Bizet. De fait, la nounou n’est plus une sympathique aventurière déglinguée mais un idéal affectif en pâte à modeler, un doudou enchanteur et drolatique. Impossible à partager, même avec un petit animal blessé, cliché pourtant increvable de tendresse enfantine. Dès l’entrée en scène de ce nouveau personnage, le film fulmine, inconsolable, nostalgique à enrager.

Commence une guerre rageuse pour l’exclusivité du film, chacun tentant de laisser l’autre hors-champs. Le mouvement est si violent que Garri Bardine laisse la Nounou à la maison et, transporte l’action dans une forêt glaciale et flippante. L’aigreur domestique laisse place à la frousse blanche des contes de Perrault. On côtoie le fantastique animalier (la paisible vache devient un taureau menaçant), on pressent les machinations perverses du gamin (l’abandon du chiot que l’enfant appâte) et les sauvetages espiègles du chien, on entre dans les portées graves de Carmen, les plus angoissantes. Il y a dans ce micro-cinéma tortueux et compulsif une indicible fragilité qui infuse l’ensemble de merveilleux ou de cauchemar, de réconfort douillet ou d’aigreur coupante. « La famille s’agrandit », dit l’affiche. Ça n’a tenu qu’à un fil. La Nounou 3 est décidément bien loin de suivre les trajectoires gentillettes du cinéma junior.